À retenir
Au début du mois de février, les dix membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ont publié leur modèle de gouvernance très attendu à l’égard de l’intelligence artificielle (IA), c.-à-d., le Guide de l’ANASE sur la gouvernance et l’éthique de l’IA. Le modèle adopte une approche non contraignante du développement de l’IA, en proposant un ensemble de lignes directrices que les gouvernements et les entreprises peuvent suivre lorsqu’ils développent et utilisent des systèmes d’IA dans la région.
L’ANASE possède le marché Internet qui connaît la croissance la plus rapide au monde et une économie numérique qui devrait croître de manière substantielle. C’est pourquoi les gouvernements de ses États membres, comme les autres gouvernements partout dans le monde, s’efforcent de mettre en place des mécanismes permettant de superviser ces technologies puissantes tout en veillant à ce qu’elles restent compétitives sur ce marché qui évolue rapidement.
En bref
- Le guide de l’ANASE a été publié le 2 février, lors de la quatrième réunion des ministres du numérique de l’ANASE. Il met en évidence sept principes (transparence, équité, sécurité, fiabilité, primauté des personnes, respect de la vie privée et responsabilité) pour la conception, le développement et le déploiement des systèmes d’IA en Asie du Sud-Est.
- Le guide vise les systèmes d’IA traditionnels, c’est-à-dire les applications telles que Google Search ou les assistants vocaux comme Siri ou Alexa, qui peuvent effectuer des tâches précises planifiées. Il ne couvre pas les systèmes avancés d’IA générative qui peuvent créer du contenu, tels que ChatGPT. Toutefois, ce guide est un document évolutif, c’est-à-dire que des lignes directrices supplémentaires, notamment à l’égard de l’IA générative, pourraient y être ajoutées à l’avenir.
- Le guide comprend également des recommandations propres aux pays et aux régions. À l’échelle nationale, il recommande aux membres d’adopter l’IA et de s’assurer qu’ils sont bien positionnés pour tirer parti de la technologie. À l’échelle régionale, il recommande la création d’un groupe de travail de l’ANASE sur l’IA pour superviser les initiatives de gouvernance de cette dernière dans la région et l’utilisation du guide en guise de fondement pour l’élaboration de lignes directrices en matière de gouvernance, en particulier en ce qui concerne l’IA générative.
Les conséquences
L’ANASE cherche à maintenir un équilibre entre une réglementation insuffisante et une réglementation excessive. Alors que l’IA s’apprête à révolutionner les sociétés, créant ainsi autant de risques que de possibilités, l’ANASE cherche un cadre équilibré pour permettre à ses membres de capitaliser sur la technologie tout en réduisant ses conséquences négatives. Le seul autre cadre régional élaboré à ce jour est la Loi sur l’IA de l’Union européenne, qui adopte une approche fondée sur les risques et prévoit des obligations de conformité et des mécanismes d’application de la loi. En revanche, les lignes directrices de l’ANASE sont censées servir de « guide des meilleures pratiques régionales », et leur adoption est entièrement volontaire et ne remplace pas les lois ou la réglementation des États membres.
Existe-t-il une nouvelle division entre l’Est et l’Ouest en matière d’IA? Malgré l’accélération des efforts pour gérer et réglementer l’IA en 2023, les gouvernements du monde entier ne sont guère parvenus à s’accorder sur la manière dont cette technologie devrait être réglementée. Plusieurs pays ont proposé des cadres différents, ce qui a conduit à un paysage réglementaire mondial fragmenté et confus. On signale que les législateurs de l’UE auraient fait pression sur certains États membres de l’ANASE l’année dernière pour qu’ils adoptent leur « approche plus stricte », mais le groupe de l’Asie du Sud-Est a plutôt opté pour une approche beaucoup moins interventionniste. Même si c’était prévisible en raison de la diversité des réglementations nationales de la région et des différents niveaux de développement socio-économique, l’ANASE pourrait finir par adopter une réglementation juridiquement contraignante et plus stricte. Cela dépendra en grande partie de l’évolution de la technologie et de voir si la Loi sur l’IA de l’Union européenne est un modèle dont l’ANASE souhaite s’inspirer.
Prochaines étapes
Adoption régionale. La publication du guide de l’ANASE sur l’IA n’empêchera pas les pays d’Asie du Sud-Est de lancer leurs propres politiques en matière d’IA. En fait, bon nombre de pays ont déjà mis en place des stratégies nationales en matière d’IA et peaufinent la réglementation dans ce domaine. Par exemple, en décembre dernier, Singapour a mis à jour sa Stratégie nationale en matière d’intelligence artificielle de 2019, et l’Indonésie serait sur le point de publier une série de lignes directrices sur l’éthique de l’IA. Les Philippines ont récemment annoncé leur intention de proposer un cadre réglementaire pour l’Asie du Sud-Est en fonction de leur propre projet de législation lorsqu’elles prendront la présidence tournante de l’ANASE en 2026. Pour le moment, cependant, le guide de l’ANASE sur l’IA sera mis à l’épreuve par la manière dont les États membres intégreront cette dernière série de principes dans leurs cadres nationaux.
L’économie numérique croissante de l’ANASE. D’ici 2030, l’économie numérique de l’Asie du Sud-Est devrait ajouter environ 1 000 milliards $ US au produit intérieur brut combiné de la région. L’IA sera un moteur de cette croissance et fera partie intégrante de la transformation numérique de la région.
Le Canada légifère en matière d’IA. Tandis que le gouvernement canadien réfléchit à sa propre réglementation en matière d’IA, il pourrait s’inspirer des efforts pertinents déployés par d’autres pays et institutions, y compris l’ANASE. La Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD) du Canada, actuellement examinée par le Comité permanent de la science et de la technologie, encadrera le développement et l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle au Canada, s’ajoutant à la mosaïque mondiale croissante de cadres nationaux.
• Rédigé par Charles Labrecque, directeur de recherche. Édition : Erin Williams, gestionnaire principale de programme Conception graphique : Chloe Fenemore.