Le sommet de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), qui s’est tenu à Vientiane, au Laos, du 6 au 11 octobre, s’est achevé sans grand progrès sur deux questions de plus en plus pressantes : la guerre civile au Myanmar et les tensions en mer de Chine méridionale.
Parallèlement au sommet de l’ANASE, le sommet de l’Asie de l’Est (SAE) a réuni les dirigeants de l’Asie du Sud-Est et de plusieurs pays partenaires du dialogue de l’ANASE, dont l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Russie et les États-Unis. Les discussions du SAE ont également porté sur l’escalade de la violence en mer de Chine méridionale et la crise au Myanmar, ainsi que sur la détérioration des relations entre la Chine et Taïwan.
Les 9 et 10 octobre, le premier ministre canadien Justin Trudeau a participé au sommet spécial ANASE-Canada dans le cadre des efforts déployés par Ottawa pour approfondir les liens avec le bloc. Lors du sommet, Ottawa a annoncé la nomination d’ambassadeurs résidents au Cambodge et au Laos et l’organisation prochaine de missions commerciales en Thaïlande et au Cambodge, tout en explorant de nouveaux domaines de coopération, tels que les technologies d’énergie propre, les minéraux essentiels et la sécurité alimentaire.
En bref
- Pour la première fois en trois ans, un haut représentant de la junte du Myanmar a été autorisé à participer au récent sommet de l’ANASE. Après le coup d’État militaire de 2021, l’ANASE avait limité la participation de la junte à des « représentants non politiques ». La décision de l’ANASE d’autoriser la présence d’un dignitaire sans inclure d’autres parties prenantes a été considérée comme un « compromis » et a confirmé encore une fois les craintes que le bloc ne perde sa détermination à résoudre la crise de manière efficace.
- Lors du SAE (qui n’inclut pas le Canada), les différents participants ont échangé des accusations. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a qualifié de « destructrices » les mesures prises par les États-Unis en Asie du Sud-Est. De son côté, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a fait part des préoccupations croissantes de Washington concernant le comportement « dangereux » de la Chine en mer de Chine méridionale et a réitéré l’engagement des États-Unis à respecter la liberté de navigation dans cette voie d’eau contestée. La Chine et la Russie s’étaient opposées au projet de déclaration finale de l’ANASE en raison de sa référence à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), le traité des Nations unies régissant les activités maritimes. La Chine, bien que signataire du traité, a refusé de reconnaître une décision arbitrale de 2016 qui rejetait les revendications territoriales de Beijing en mer de Chine méridionale.
- S’appuyant sur le partenariat stratégique ANASE-Canada lancé en 2023, Ottawa a alloué 128 M$ CA à des partenariats conjoints pour la lutte contre les changements climatiques, la lutte contre le crime organisé et le renforcement des initiatives en faveur de la paix et de la sécurité.
- Lors du 27e sommet ANASE-Chine, les différends en mer de Chine méridionale ont occupé une place prépondérante. Faisant référence à leurs confrontations fréquentes et souvent violentes avec la Chine dans la région, les Philippines ont exhorté l’ANASE et la Chine à accélérer les négociations sur le Code de conduite (CDC), un ensemble de lignes directrices visant à atténuer les tensions dans la voie d’eau faisant l’objet du litige. La déclaration du président du Laos s’est gardée de dénoncer ouvertement l’agression de la Chine, appelant plutôt à la création de mesures de confiance pour désamorcer les tensions.
Les conséquences
La crise du Myanmar se profile à l’horizon, sans aucune solution en vue. Les dirigeants de l’ANASE ont demandé instamment l’arrêt immédiat des violences au Myanmar, l’acheminement en toute sécurité de l’aide humanitaire et l’ouverture d’un dialogue inclusif. La Thaïlande accueillera une consultation informelle de l’ANASE en décembre afin d’approfondir l’engagement de l’organisation à l’égard du Myanmar, ce qui a été salué par le Laos et la Malaisie.
Toutefois, le consensus en cinq points de l’ANASE, qui appelle à la fin de la violence entre les parties prenantes, n’ayant guère progressé, le fossé s’est creusé entre les membres de l’organisation qui critiquent le manque d’engagement de l’armée en faveur de l’instauration de la paix et ceux qui souhaitent un renforcement de l’engagement bilatéral avec la junte. Les Philippines dénoncent de plus en plus fort l’inefficacité du plan de paix de l’ANASE et ont suggéré que d’autres approches pourraient être nécessaires.
Des objectifs contradictoires entravent l’unité du bloc sur la mer de Chine méridionale. En ce qui concerne l’agression continue de la Chine en mer de Chine méridionale, le Laos a tenté de trouver un équilibre en tenant compte des préoccupations des États demandeurs de l’ANASE tout en s’abstenant de critiquer publiquement Beijing, son principal partenaire économique. Les négociations entre l’ANASE et la Chine sur le CDC étant dans l’impasse, de nombreux experts doutent qu’elles aboutissent à l’échéance prévue de 2026 et qu’un tel accord soit même efficace pour résoudre le différend.
Réitérant le souhait des Philippines de faire avancer les négociations, le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a appelé tous les États demandeurs à « faire preuve de retenue » dans les actions susceptibles de compromettre la paix et la stabilité dans les voies d’eau contestées. En revanche, le Vietnam, autre État demandeur, s’est montré moins ouvertement critique à l’égard de la Chine. Hanoi souhaite que l’ANASE renforce la solidarité entre les États membres, maintienne son approche ferme des questions internationales et régionales et aborde rapidement les risques extérieurs.
Prochaines étapes
1. La Malaisie présidera l’ANASE en 2025
Lorsque la Malaisie prendra la présidence de l’ANASE en 2025, on s’attend à ce qu’elle adopte une position plus proactive sur le conflit au Myanmar et la mer de Chine méridionale. Toutefois, les liens économiques croissants de Kuala Lumpur avec la Chine suscitent de plus en plus d’inquiétudes, de même que leurs conséquences sur l’érosion de l’unité de l’ANASE et de la capacité du bloc à résoudre les problèmes régionaux. Malgré ces inquiétudes, il est peu probable que l’ANASE modifie de manière notable sa position sur ces questions, compte tenu de son approche fondée sur le consensus et des limites imposées aux pouvoirs de décision de la présidence.
2. L’élection américaine et ses implications régionales
Les États membres de l’ANASE se préparent au résultat de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre. Une nouvelle présidence de Donald Trump pourrait renforcer le protectionnisme et l’isolationnisme des États-Unis et réduire leur présence militaire en Asie du Sud-Est. Cette situation serait particulièrement inquiétante pour les Philippines, qui ont resserré leurs liens militaires avec Washington alors que les tensions avec la Chine se sont accrues. En revanche, une victoire de la vice-présidente américaine Kamala Harris conduirait probablement à la poursuite, voire à l’élargissement de l’engagement des États-Unis auprès de l’ANASE. Aux côtés du président américain Joe Biden, Mme Harris a participé activement à diverses initiatives menées par l’ANASE.
3. Relations accrues entre l’ANASE et le Canada
L’ANASE, qui regroupe certaines des économies à la croissance la plus rapide au monde, fait partie intégrante de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Les prochaines initiatives ANASE-Canada visant à renforcer l’intégration économique comprennent l’expansion des bureaux d’Exportation et développement Canada en Asie du Sud-Est et l’ouverture d’une succursale de FinDev, l’institution financière de développement du Canada, à Singapour. Le Canada négocie également l’accord de libre-échange Canada-ANASE, qui devrait être finalisé d’ici la fin de l’année 2025.