Le Bangladesh après Hasina : Bouleversements politiques, alliances en mutation et le chemin à parcourir

National Citizen's Party image from Getty Images
Nahid Islam, président du nouveau parti Jatiya Nagarik, ou Parti national du citoyen, crie des slogans lors du lancement du nouveau parti politique dirigé par des étudiants à Dhaka, au Bangladesh, le 28 février 2025. Photo : Munir Uz Zaman/AFP via Getty Images

Conclusions principales :

Sept mois après la destitution de la Première ministre bangladaise de longue date, Sheikh Hasina, le mouvement étudiant qui a provoqué son éviction a lancé le Parti national des citoyens dans une tentative de refaçonner l'avenir politique du pays. Le gouvernement intérimaire dirigé par Muhammad Yunus est toujours confronté à une corruption enracinée, à des turbulences économiques et au défi d'assurer une compétition politique équitable. Sa décision de lever l'interdiction des partis islamistes et de libérer des leaders en détention a intensifié les craintes d'un virage islamiste, et les récentes attaques contre la minorité hindoue ont compliqué les relations avec l'Inde.

La capacité du gouvernement intérimaire à mettre en œuvre d'autres réformes systémiques avant les élections prévues en 2025 pourrait déterminer si le Bangladesh peut éviter de sombrer dans l'instabilité.

En bref :

  • Un récent rapport des Nations unies a conclu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le gouvernement de Sheikh Hasina et ses forces de sécurité ont commis des crimes contre l’humanité. Ces accusations concernent la répression violente des manifestations entre juillet et août 2024, ayant causé la mort d’environ 1 400 personnes.
     
  • Sheikh Hasina a été contrainte de démissionner et de s'enfuir en Inde. Son éviction a libéré la voix pour son rival de longue durée Khaleda Zia du parti nationaliste du Bangladesh, qui devrait faire son retour lors des prochaines élections, provisoirement prévues fin 2025 ou début 2026. Zia, qui était en assignation à résidence depuis août, a été acquittée en janvier dans une affaire de corruption.
     
  • Le gouvernement intérimaire a pris des mesures controversées, notamment la levée de l’interdiction imposée en 2013 du Jamaat-e-Islami, le plus grand parti islamiste du Bangladesh, ainsi que la libération de ses dirigeants, et d’un ancien ministre d'État aux affaires intérieures accusé d’avoir soutenu des groupes insurgés anti-Inde. 
     
  • Le Bangladesh confronté aux répercussions économiques de l'ère Hasina Un comité de 12 membres, chargée de rédiger un livre blanc sur l’état de l’économie, a mis au jour la corruption systémique, les échecs réglementaires et des sorties illicites de capitaux d’une valeur de 240 G$ CA sous le régime Hasina (2009–2023). 
     
  • La présence de Hasina en Inde a également alimenté les tensions diplomatiques entre les deux pays, le Bangladesh demandant son extradition pour engager des poursuites judiciaires concernant la répression du mouvement de contestation d'étudiants, dont l'origine était la perplexité face aux quotas d'emplois gouvernementaux. L’Inde, jusqu'à présent, a maintenu le silence.
     

Implications :

  • L'exil de Hasina complique les liens avec l'Inde

Autrefois alliés proches, l'Inde et le Bangladesh sont désormais pris dans une spirale de méfiance, largement due à la  réticence de l'Inde à extrader Hasina. Les déclarations de Hasina depuis son exil ont provoqué l'indignation, notamment son discours du 5 février à ses partisans, qui a déclenché des manifestations massives au Bangladesh. En réponse, l'Inde a convoqué le Haut-Commissaire par intérim du Bangladesh, précisant que les propos de Hasina étaient tenus à titre personnel et ne reflétaient pas la position officielle de l'Inde.

Pendant que l'Inde examine la demande d'extradition, les hindous du Bangladesh, perçus comme des alliés de Hasina, font face à des menaces et attaques croissantes, alimentées par un sentiment anti-indien grandissant et amplifiées par la désinformation. Bien que les hindous, qui représentent 8% de la population n'étaient pas entièrement en sécurité sous le régime de Hasina, la position laïque de son parti leur offrait une certaine protection.

  • Redéveloppement économique et corruption

L'économie du Bangladesh montre des signes de reprise, notamment dans son industrie textile qui a connu une hausse de 13% des exportations entre juin et décembre 2024, par rapport à la même période de l'année précédente. L'inflation, bien que toujours élevée, a commencé à diminuer, passant de  11.38% en novembre 2024 à 9,94% en janvier 2025.  

Cependant, le pays porte encore le fardeau économique du gouvernement précédent. Entre 2009 et 2024, le gouvernement Awami a accumulé 44,38 milliards de dollars de dette étrangère, tandis que la corruption a gangrené le système bancaire, les infrastructures et le secteur de l'énergie. Parmi les accords les plus controversés figure un contrat de 25 ans avec Adani Power, une entreprise indienne, qui aurait  privé le Bangladesh de 28,6 millions de dollars de revenus fiscaux. Entre-temps, les enquêtes se poursuivent sur les irrégularités financières potentielles impliquant Sheikh Hasina et sa nièce Tulip Siddiq, ancienne ministre britannique.

Le leader intérimaire Yunus se concentre sur les réformes économiques, notamment les efforts pour récupérer l'argent blanchi et attirer de nouveaux investissements. Selon les estimations de la Banque mondiale, un environnement politique stable, associé à une meilleure gouvernance et à des réformes du secteur financier, pourrait aider le PIB du Bangladesh à passer d'un taux de croissance de 4,1% pour l'année fiscale 2025 à 5,4% pour l'année fiscale 2026.

Ce qui s'ensuit :

1. L’approfondissement potentiel des rapports de force 

L'éviction de Sheikh Hasina a profondément bouleversé le paysage politique du Bangladesh, laissant la Ligue Awami (AL), autrefois dominante, en plein désarroi. L'acquittement de Khaleda Zia sur des accusations de corruption et  sa libération de l'assignation à domicile ont redynamisé le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), bien que des allégations persistantes de corruption au niveau local continuent d'entacher sa réputation. Le gouvernement intérimaire dirigé par Muhammad Yunus fait face à une pression croissante pour finaliser les réformes électorales, notamment la mise à jour d'un registre des électeurs éligibles. Cette tâche est compliquée par les demandes d'enregistrement  de nouveaux partis islamistes qui cherchent à réintégrer la scène politique après des années d'exclusion.

La montée d'une troisième force politique, issue du mouvement étudiant de 2024, marque une rupture potentielle avec la domination traditionnelle de l'AL et du BNP. Le nouveau Parti national du citoyen, dirigé par d'anciens leaders étudiants, façonne son programme sur la base d'une enquête nationale autour de priorités telles que la lutte contre la corruption, la transparence, la justice sociale et une gouvernance responsable. Le lancement du parti a été marqué par  une participation massive, principalement de la part des jeunes, qui représentent environ  28 % de la population. Alors que ce nouveau parti cherche à favoriser un environnement politique plus compétitif et participatif, sa résistance sera mise à l'épreuve par un appareil d'État politisé et une résistance de l'élite bien enracinée.

2. Washington recule sur le Bangladesh

Alors que le Bangladesh traverse une période de bouleversements internes, les dynamiques mondiales évoluent également. Lors de la visite du Premier ministre indien Narendra Modi aux États-Unis les 12 et 13 février 2025, le président Donald Trump a déclaré, en réponse à une question sur le Bangladesh : « Je laisserai le Bangladesh entre les mains de Modi. » Cette déclaration marque un tournant par rapport à l'approche de l'administration Biden, qui avait critiqué le régime de Sheikh Hasina pour des violations des droits humains et des irrégularités électorales tout en soutenant des programmes  de développement politique via USAID, qui ont été annulées sous Trump dans le cadre de ses mesures d’austérité. L’implication des États-Unis, désormais réduite, et l’annulation des initiatives soutenues par USAID fragilisent encore davantage l’économie du Bangladesh, la rendant  plus vulnérable.

3. Inquiétudes indiennes face aux alliances changeantes du Bangladesh

Parallèlement, le Bangladesh revoit sa politique étrangère en renforçant ses liens avec le Pakistan et en élargissant sa coopération avec la Chine. Pour la première fois depuis 1971, des vols directs et des routes maritimes avec le Pakistan ont été établis, tandis que des rencontres entre chefs militaires des deux pays ont eu lieu. La Chine a également intensifié ses relations avec le Bangladesh, accueillant  des personnalités politiques bangladaises, y compris des membres de l’opposition et des leaders étudiants.
 

• Édité par Erin Williams, gestionnaire de programme principale, Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie, et Ted Fraser, éditeur principal à FAP Canada.

Tanya Dawar

Tanya Dawar est chercheuse au sein de l'équipe de l'Asie du Sud à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politiques publiques et affaires mondiales de l’Université de la Colombie-Britannique, d’une maîtrise en économie de l’Indian Institute of Foreign Trade et d’un B.Sc. en sciences économiques. en mathématiques (avec distinction) de l'Université de Delhi. 

Les intérêts de recherche de Tanya comprennent le commerce international, les questions environnementales et la politique mondiale.

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Suyesha Dutta

Suyesha Dutta est chercheuse-boursière au sein de l'équipe Asie du Sud de la Fondation Asie Pacifique. Elle a obtenu une maîtrise en Études modernes de l'Asie du Sud à l'Université d'Oxford et une licence à l'Université de Colombie britannique, avec une double spécialisation en Histoire et en Études européennes modernes. Ses recherches portent sur la violence étatique et la mobilisation politique dans l'Inde postcoloniale.

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