En tant que membres du programme d’accompagnement de jeunes professionnels de la Fondation Asie Pacifique du Canada, nous saluons la publication de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique du Gouvernement du Canada. Il s’agit d’un développement passionnant et longtemps attendu de la politique étrangère. Nous sommes encouragés par l’engagement sérieux et durable d’Ottawa à l’égard de cette région vitale et dynamique, qui sera sans aucun doute présente dans la vie, le travail et la prospérité des canadiens dans les années à venir.
Cependant, nous reconnaissons également que l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique n’en sont qu’à leurs débuts. En tant que membres de la génération qui héritera les résultats de cette stratégie, nous présentons quelques observations, et ce, dans l’esprit de placer le Canada dans une position avantageuse pour favoriser des relations Canada-Asie productives et robustes. Ces observations portent sur les priorités, les lacunes et les questions en suspens qui, selon nous, méritent d’être examinées plus en détail.
* Dans un souci de transparence, il convient de noter que parmi les initiatives annoncées pour le financement dans le cadre de la Stratégie pour l’Indo-Pacifique, la FAP Canada doit recevoir 24,5 millions de dollars canadiens pour appuyer l’établissement d’une présence physique et de nouveaux programmes d’engagement dans la région.
Montrer que le Canada est engagé
La nouvelle Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique est une stratégie ambitieuse qui montre que le Canada comprend l’importance de la région et son influence croissante. Au cœur de cette stratégie se trouve une liste d’objectifs et d’initiatives qui permettront au Canada de concrétiser cinq priorités allant du renforcement des liens entre les personnes à la mise en place des bases pour bâtir un avenir plus vert. Mais comment le Canada atteindra-t-il ces objectifs ?
La plupart des objectifs de la Stratégie exigeront un engagement accru par le biais du leadership et de la collaboration avec les partenaires. À quoi ressemblerait ce leadership, surtout que le Canada doit se réengager dans des forums et des régions où il n’a pas été actif récemment ?
Une façon pour le Canada de renforcer son leadership dans la région serait d’aider à créer un espace pour l’action collective. Dans le contexte de l’engagement, l’action collective comprend habituellement trois facteurs : la conclusion d’un accord sur les objectifs et leur orientation, la coordination des actions pour atteindre les objectifs et l’engagement pour continuer d’œuvrer à la réalisation des objectifs, même face aux défis.
Je dirais que dans la Stratégie, le Canada a déjà établi, à très haut niveau, un accord sur les objectifs et les actions. Par exemple, l’augmentation de la résilience de la chaîne d’approvisionnement et la fourniture de l’aide humanitaire sont des objectifs communs à plusieurs pays de la région. De plus, la Stratégie précise les mesures pour leur réalisation. La partie la plus délicate de la Stratégie sera le troisième facteur : l’engagement.
Le monde connaît une période particulièrement difficile, avec de multiples événements tels qu’une pandémie mondiale en cours, une guerre terrestre en Europe aux lourdes conséquences et des menaces à la démocratie sur plusieurs fronts, des événements qui se font concurrence pour obtenir l’attention des priorités de la politique étrangères des pays. Trouver l’équilibre entre ces défis actuels et les nouveaux objectifs sera une épreuve pour tout pays. Cela ne veut pas dire que le Canada ne sera pas en mesure d’accroître son leadership dans l’Indo-Pacifique. Cet engagement renouvelé prouve que l’ambition du Canada va au-delà d’une stratégie et montre qu’il y aura un regain d’intérêt pour la région qui durera au-delà des prochaines années.
Kelly Grounds est analyste subalterne de la politique chez Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes et ne reflètent pas les vues du.
Envisager davantage de commerce avec Taïwan
Pour une île qui ne représente que 0,6 % de la population de l‘Indo-Pacifique, Taïwan a récemment fait l’objet d’une attention disproportionnée au Canada. Ce phénomène reflète en grande partie les préoccupations générales des canadiens à l’égard de la Chine, décrite dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique comme « une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice », ainsi que la menace que la Chine représente pour l’autonomie démocratique et le mode de vie de Taïwan, deux facteurs qui trouvent un écho chez les canadiens.
La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique reconnaît ces préoccupations et affirme que le Canada « s’opposera aux actions unilatérales menaçant le statu quo dans le détroit de Taïwan » et « travaillera avec les partenaires afin de repousser tout action unilatérale dans le détroit de Taïwan ».
De telles déclarations peuvent être reliées avec les engagements généraux de sécurité de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique dans la région. Ceux-ci comprennent une augmentation de la présence navale du Canada, un maintien de l’implication canadienne dans les zones à proximité (ce qui nécessitera probablement un transit naval dans le détroit de Taïwan) et l’élargissement des programmes de formation militaire et d’interopérabilité avec des pays voisins. Bien que la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique ne lie pas explicitement ces initiatives à Taïwan et qu’elle s’abstienne à faire de déclarations plus provocatrices sur la défense de Taïwan ou sur des groupements de sécurité comme le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad) ou l’AUKUS, elle reflète la position d’Ottawa, quoique indirecte et limitée, pour la dissuasion dans le détroit de Taïwan.
En même temps, la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique reste en retrait lorsqu’il s’agit de s’engager avec Taïwan. Bien que mentionné 10 fois, Taïwan ne figure pas parmi les 31 économies prioritaires de la Stratégie. De plus, peu de nouveaux détails ont été fournis à propos de la manière dont le Canada entend répondre aux appels de Taïwan pour un soutien accru. Le Canada et Taïwan ont déjà mené des entretiens préparatoires sur un accord de protection des investissements étrangers, dont certains assurent qu’il pourrait être négocié dans les 48 heures. Toutefois, aucune mention n’est faite à ce sujet. Pas plus qu’aux pourparlers sur un accord commercial bilatéral avec Taïwan, qu’Ottawa a indiqué envisager un jour après la publication de la Stratégie, ou au soutien préliminaire pour la candidature de Taïwan à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). De surcroît, malgré les mentions au maintien de l’engagement actuel, aucune nouvelle initiative importante pour soutenir l’île à développer sa résilience stratégique est présentée. Ce silence néglige le composant psychologique considérable de la situation fâcheuse de Taïwan, à laquelle des annonces claires mais prudentes de nouvelles initiatives auraient pu répondre.
À certains égards, ce choix n’est pas surprenant. Le Canada ne maintient pas de relations diplomatiques officielles avec Taïwan en raison de la politique d’une seule Chine. Ainsi, toute déclaration sur Taïwan est faite en marge de la relation du Canada avec la Chine. En revanche, ce qui est surprenant c’est que cette dynamique a donné lieu à une stratégie qui tend davantage à une démonstration implicite de force de la sous-développée puissance militaire du Canada plutôt que de ses forces plus conciliantes en matière d’engagement économique et de diplomatie.
Il se peut qu’Ottawa annonce des pourparlers commerciaux avec Taipei demain, mais d’ici là, nous nous retrouvons dans une position qui semble être en décalage avec les forces du Canada.
D’Arcy White est un avocat installé à Toronto. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Prendre au sérieux l’essor de l’Inde
La nouvelle Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique contient de nombreuses initiatives prometteuses. Le Canada a depuis longtemps eu besoin d’un plan cohérent et à long terme en ce qui concerne la région de l’Indo-Pacifique, et la Stratégie est un pas en avant dans cette direction. L’investissement dans la capacité de développement des connaissances pour les chercheurs, les responsables des politiques et les entrepreneurs canadiens afin d’améliorer leur compréhension de la région est un élément fort et opportun.
Toutefois, le traitement de l’Inde dans la Stratégie manque d’une vision stratégique à long terme du rôle futur de ce pays, tant dans la région que dans le monde. La Stratégie consacre une section entière à l’Inde, précisant que le gouvernement canadien la considère, et à juste titre, comme un facteur important de son engagement régional. Les passages sur l’Inde dans le texte de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique portent sur l’engagement économique, l’accès au marché, l’immigration et les échanges universitaires/culturels. Cette approche est logique compte tenu des conditions économiques et de développement actuelles dans les deux pays. Néanmoins, la Stratégie ne tient pas compte de l’essor de l’Inde comme l’une des principales puissances mondiales. Si la stratégie semble reconnaître le potentiel de croissance de l’économie indienne, elle ne reflète pas pleinement la mesure dans laquelle la croissance économique peut être convertie en poids géopolitique.
Il est intéressant de noter que le ton de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique envers l’Inde rappelle celui du gouvernement canadien envers la Chine il y a deux décennies. Rappelez-vous l’allocution du premier ministre de l’époque, Paul Martin, devant Conseil d’affaires Canada-Chine en 2005, où il déclarait « nous souhaitons développer notre relation avec la Chine – créer un véritable partenariat qui comprenne non seulement des activités économiques, mais aussi le programme politique mondiale : santé publique, questions environnementales, droits de la personne et culture ». Ce qui manquait dans l’analyse de la Chine à l’époque – et de l’Inde aujourd’hui – est la reconnaissance du fait que la croissance économique d’un pays s’accompagne d’une augmentation de sa capacité à façonner le système international. Selon les tendances de croissance actuelles, l’Inde devrait devenir la troisième économie mondiale d’ici 2030, avec un PIB corrigée par la parité des pouvoirs d’achat de 19,5 billions de dollars américains. Avec un tel poids économique, l’Inde sera en mesure de tirer parti de son rôle prépondérant dans l’économie mondiale pour convaincre les autres nations d’accéder à ses demandes d’ajustement des règles internationales afin qu’elles soient plus compatibles avec ses propres intérêts nationaux.
Il est intéressant de noter que M. Martin a déclaré en 2005 que « la Chine jouera un rôle crucial dans la réussite d’un nouveau multilatéralisme, et c’est pourquoi nous tenons à cultiver une relation mutuellement bénéfique – un partenariat qui reconnaît les changements qui s’opèrent dans la façon dont le monde interagit, et dans l’exercice des activités économiques ». Par conséquent, M. Martin était peut-être conscient, dans une certaine mesure, que la croissance économique de la Chine aurait d’importantes répercussions sur l’ordre international, mais le gouvernement n’a pas pleinement saisi la portée de cette déclaration. Le Canada ne devrait pas commettre la même erreur en ce qui concerne l’Inde.
Afin de nous préparer au jour où l’Inde voudra façonner les règles internationales plutôt que de les subir, le gouvernement devrait mettre davantage l’accent sur la promotion des connaissances de l’Inde auprès des chercheurs, des responsables des politiques canadiens et de la population canadienne en général. La Stratégie actuelle souligne principalement un renforcement des connaissances sur la Chine, mais il faudrait faire de même pour l’Inde. En particulier, une compréhension de l’histoire de l’Inde du point de vue de l’Inde et la façon dont le peuple indien voit sa place dans le monde sera essentielle pour se préparer à l’essor géopolitique du pays.
Peter Wu est étudiant d’une maîtrise en économie à l’Université de Toronto. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Dépoussiérer le vieux manuel de la voie II pour l’engagement de l’ANASE
Avec la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, le gouvernement fédéral a exposé sa politique globale pour un regain d’intérêt pour la région. Il convient de noter que le renforcement des relations du Canda avec les 10 membres de l’Association des nations de l’Asie du Sed-Est (ANASE) en priorité est plus qu’un beau discours. En effet, plus de 37 millions de dollars canadiens ont été alloués au cours des cinq prochaines années pour le Fond fiduciaire du Plan d’action ANASE-Canada et la Passerelle commerciale canadienne, tandis que d’autres fonds ont été consacrés à l’expansion du programme de bourses d’études ANASE et à l’expansion de notre présence physique dans la région.
Grâce à ce nouveau financement, le Canada a une occasion sans précédente pour faire un retour remarqué dans la région. Alors que nous passons maintenant à la mise en œuvre, mes trois recommandations pour le Canada sont les suivantes : 1) identifier la place que le Canada peut occuper au sein de l’ANASE ; 2) éliminer toute entrave inutile à une intégration plus poussée dans la région ; et 3) garantir que les fonds atteignent les populations les plus vulnérables de l’ANASE.
Premièrement, le Canada peut réclamer le rôle qu’il a déjà joué en tant que facilitateur des dialogues non gouvernementaux (voie II), c’est-à-dire, des moyens de promouvoir une communication ouverte sur des questions régionales délicates, comme la rivalité entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan ou encore la crise au Myanmar, et d’aider à établir des garde-fous contre l’escalade de conflits. J’ai échangé avec des universitaires de l’Asie du Sud-Est qui se souviennent de la diplomatie canadienne de puissance moyenne des années 1990 comme de la période la plus représentative de l’initiative canadienne sur les questions importantes pour l’ANASE. L’adoption précoce par le Canada des canaux diplomatiques de voie II, comme le Conseil de coopération pour la sécurité dans l’Asie-Pacifique, la facilitation des dialogues maritimes dans la mer de Chine méridionale et sa participation à des mesures de confiance pour la sécurité régionale, sont autant d’éléments qui ont renforcé la valeur du Canada en tant que partenaire stratégique. Mais depuis, le Canada est relégué à l’arrière-plan de ces dialogues et doit maintenant se repositionner dans ces réseaux.
Deuxièmement, le Canada se devra d’évaluer ses propres politiques intérieures. Par exemple, les citoyens de 8 des 10 États membres de l’ANASE ont besoin de visas pour entrer au Canada et font face à des processus onéreux et coûteux pour y parvenir. Une mesure pratique pour atteindre le troisième objectif stratégique de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique – investir dans les gens et tisser des liens entre eux – pourrait être d’évaluer si l’expansion du programme d’autorisation de voyage électronique (AVE) simplifié (avec quelques exceptions) est faisable, dans un effort pour éliminer les obstacles pour les visiteurs de l’ANASE.
Et, troisièmement, le Canada doit s’assurer que ses initiatives sont diversifiées dans la région de l’ANASE, en particulier dans les économies qui sont confrontées à des menaces à la sécurité humaine, que ce soit en raison de difficultés économiques, de bouleversements politiques ou en raison du changement climatique. Les fonds réservés aux projets de déminage au Cambodge et au Laos constituent une excellente initiative à cet égard.
Lauren Shykora est candidate à la maîtrise en Affaires internationales à la National University of Singapore. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Être plus audacieux dans les relations entre le Canada et l’Inde
La place de l’Inde en Asie devient rapidement prépondérante. Ainsi, tout pays qui élabore sa stratégie pour l’Asie devra accorder une attention particulière à la plus grande démocratie et, bientôt, la troisième économie mondiale. Le Canada est conscient de cette réalité, comme en témoigne même le titre de sa Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, récemment publiée. Mais l’attention s’arrête là. La Stratégie n’indique pas la profondeur de la relation que le Canada cherche à établir avec l’Inde en tant que puissance de contrepoids dans la région, alors que le Canada cherche à repenser sa relation avec la Chine et à diversifier ses intérêts et son engagement dans la région, en particulier en Asie du Sud et du Sud-Est, qui sont faibles. Ces éléments se reflètent dans les mesures superficielles présentées dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Ces mesures tentent de renforcer le commerce, l’immigration et les liens avec la diaspora, sans tenir compte de deux priorités clés : la coopération en matière de sécurité et le développement des ressources naturelles.
Le Canada semble doubler la mise faiblement sur les liens économiques et d’immigration existants avec l’Inde. La Stratégie aurait été mieux servie si elle s’était concentrée sur quelques domaines d’intérêt stratégique dans la région, particulièrement le développement des ressources naturelles. Alors que le monde se dirige vers un avenir économique à faible émission de carbone, le Canada sera un agent plus important dans la fourniture de minéraux critiques qui alimenteront la chaîne d’approvisionnement du transport électrique. L’alignement de la récente stratégie canadienne en matière de minéraux critiques sur la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique a été un rendez-vous manqué, d’autant plus que l’Inde est elle-même en train d’opérer une transition, avec un succès mitigé, vers une économie à faible émission de carbone. Comme le Canada envisage également des options pour décarboniser son propre réseau électrique, il pourrait profiter de l’occasion pour partager ses connaissances et créer des réseaux de développement de capacités avec l’Inde, qui tente de se sevrer du charbon comme source principale de production électrique.
Alors que le Canada tente de recentrer ses efforts et diversifier ses liens en Asie, la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique reflète la tension et les défis continus auxquels le Canada est confronté en matière de stratégie de politique étrangère. Bien que le Canada soit partie prenante dans des accords et des forums internationaux dans des domaines aussi divers que le commerce, l’action climatique et le renseignement, il n’est souvent pas maître, et la politique étrangère est souvent façonnée par des événements survenus ailleurs. Les défaillances des tentatives du Canada de mettre l’accent sur sa relation avec l’Inde dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique peuvent servir d’avertissement : le Canada ne doit pas se disperser et risquer d’être considéré comme un partenaire superficiel, mais plutôt redoubler d’efforts dans ses domaines d’expertise et nouer un dialogue pour partager ouvertement la façon dont le pays travaille à la réalisation de ses ambitieux objectifs en matière économique, commercial, social, et climatique. S’il y parvient, le Canada pourrait sortir de sons statut de puissance moyenne et être plus à même de façonner les politiques, plutôt que de les subir, dans le monde de la politique étrangère.
Varun Srivatsan est conseiller au Ministère des ressources naturelles. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes et ne reflètent pas les vues du Gouvernement du Canada.
Préciser le programme Femmes, paix et sécurité
Établie par la résolution 1325 du Conseil de sécurité (2000) des Nations Unies, le programme mondial Femmes, paix et sécurité (FPS) vise à sensibiliser aux effets inégaux des conflits sur les femmes et les filles et à accroître la véritable participation des femmes et des filles à la consolidation de la paix et à la prévention des conflits. L’inclusion du programme FPS dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique est à la fois remarquable et pertinente. Néanmoins, l’approche du Canada telle que décrite dans la Stratégie, reste vague et manque de précisions sur la façon dont le Canada soutiendra l’intégration et l’expansion du programme FPS dans l’Indo-Pacifique.
Par exemple, dans le cadre de son premier objectif stratégique, la Stratégie envisage l’élargissement de programmes de formation et d’initiatives de renforcement des capacités militaires afin d’améliorer les partenariats régionaux, « notamment dans le domaine des femmes, de la paix et de la sécurité ». Depuis son lancement, le programme FPS a été interprété et appliqué d’une myriade de façons. Cet écart est saillant dans l’Indo-Pacifique, où la diversité des opérations et des priorités militaires et de sécurité est considérable.
Il en va de même pour les organisations actives régionales, notamment l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Les États membres individuels de l’ANASE et l’ANASE en tant qu’organisation régionale ont des opinions différentes quant à la manière dont FPS devrait être mis en œuvre et quant à leurs objectifs à cet égard. Par exemple, les Philippines et l’Indonésie disposent de plusieurs plans d’action nationaux basés sur le FPS, mais divergent sur leurs approches. Les Philippines invitent les organisations de société civique à participer tout au long du processus de consultation et mettent l’accent sur le rôle des femmes et la capacité d’action du FPS. En revanche, l’Indonésie emploie principalement une approche descendante et dépeint les femmes comme des victimes au lieu de reconnaître leur pouvoir d’action. De surcroît, aucune mention du Plan d’action régional de l’ANASE sur les Femmes, paix et sécurité est faite. Ce dernier étant un rapport important qui promet d’orienter le travail à cet égard au sein de l’ANASE et avec ses divers partenaires stratégiques, dont le Canada.
Comme l’a indiqué Dr. Stéphanie Martel dans une publication antérieure de la FAP Canada, « la Stratégie excelle lorsqu’elle présente des initiatives coopératives spécifiques, ciblées et créatives qui évoquent bien ses objectifs clés et les principes généraux sous-jacents à la politique étrangère canadienne et qui, à la fois, répondent aux demandes régionales ». Les considérations régionales – et pas simplement les idées du Canada sur les domaines prioritaires du FPS – doivent être incluses dans les objectifs stratégiques.
Il est normal qu’une stratégie couvrant autant de questions soit susceptible de manquer de précisions sur l’une d’entre elles, au moins au début. Toutefois, l’activation de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique doit être à l’écoute des plans d’action nationaux, plans d’actions régionaux et d’autres initiatives nationales. Donc, afin d’être efficace, il faut détailler davantage la considération du contexte local, les différentes interprétations régionales du programme FPS et l’intégration aux activités préexistantes.
Emma Fingler est candidate au doctorat au sein du Département des études politiques à l’Université Queen’s. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Reconnaître les différences régionales dans le soutien aux entreprises appartenant à des femmes
La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique renforce la position du Canada en tant que partenaire économique fiable dans l’Indo-Pacifique. Pour ce faire, elle favorise un commerce fondé sur des règles en mettant l’accent sur les relations de longue date dans le Pacifique Nord (p. ex. avec le Japon et la Corée du Sud) et en développant des partenariats stratégiques dans la région afin de s’aligner sur les priorités du Canada en matière de sécurité nationale et de résilience des chaînes d’approvisionnement.
Néanmoins, l’ampleur de l’objectif de la Stratégie soulève le risque que nous ne soyons pas en mesure de tenir nos promesses dans deux domaines essentiels. Premièrement, il manque une approche intégrative entre les cinq objectifs de la Stratégie en ce qui concerne la politique d’aide internationale féministe. Deuxièmement, la Stratégie manque d’objectifs clairs pour renforcer la croissance économique inclusive dans la région pour les entreprises micro, petites et moyennes (MPME) dans les 10 États membres qui composent l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), une sous-région identifiée comme prioritaire dans la stratégie.
La Politique d’aide internationale féministe (Politique) du Fond fiduciaire du Plan d’action ANASE-Canada est mentionnée dans le troisième objectif de la Stratégie : la promotion des liens entre les personnes. Étant donné que la diversification est une priorité essentielle pour le Canada, il est possible d’intégrer la Politique dans les cinq objectifs de la Stratégie. Le deuxième objectif de la Stratégie en particulier – accroître les échanges commerciaux et les investissements et renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement – pourrait être plus explicit quant à la façon dont la Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat (SFE) sera appliquée pour soutenir les femmes entrepreneures en fixant des objectifs pour les priorités communes à la Politique et à la SFE, notamment l’amélioration de l’accès des femmes au financement du commerce en vertu de la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle du Canada.
Les MPME sont un élément essentiel des économies de l’ANASE, représentant environ 98 % de l’activité économique de la région. Toutefois, la Stratégie ne précise pas la manière dont elle fera la promotion des MPME ou collaborera avec elles pour accroître la résilience du commerce et des chaînes d’approvisionnement dans la région. La Stratégie permet au Canada d’aligner les priorités de l’ANASE en matière de promotion des MPME sur sa propre priorité visant à développer les MPME canadiennes dans l’ANASE en alignant les valeurs du programme CanExport.
La Stratégie fournit une orientation générale claire sur l’engagement du Canada dans la région et les priorités de diversification. Un facteur important serait d’éviter d’adopter une approche générique dans la collaboration avec les États membres de l’ANASE pour la promotion de la politique d’accompagnement. La Stratégie a défini des indicateurs clés pour l’engagement avec des pays comme l’Inde, l’Indonésie et le Pacifique Nord. Cependant, des indicateurs clés pour l’engagement avec chaque État membre de l’ANASE sont vitaux afin de mener une stratégie durable dans cette sous-région.
Shaivalini Shukla est candidate à la maîtrise en Politique publique de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Éviter la surexploitation et investir nos ressources intelligemment
La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique du gouvernement canadien, tant attendue, est une boussole utile pour orienter le Canada dans le complexe échiquier de la politique étrangère dans la région à plus forte croissance du monde. La Stratégie, qui appelle à une réponse pansociétale, couvre un large éventail de partenariats, de programmes et d’investissements qui visent à saisir les opportunités d’une dynamique régionale « unique en son genre ». L’engagement du Canada dans l’Indo-Pacifique, une région d’une importance incontestable, aura de véritables répercussions sur nos citoyens : de la croissance économique aux valeurs démocratique et à la sécurité nationale.
Bien que la Stratégie signale que des milliards seront investis à l’appui de ses objectifs, le Canada devrait rester prudent quant aux résultats diplomatiques, sécuritaires et humanitaires de ces engagements proposés. Nos engagements sont nombreux et couvrent les domaines des programmes féministes d’aide internationale, de l’engagement naval axé sur la sécurité et des nouveaux programmes de formation conjoints avec les partenaires de l’ANASE afin de renforcer l’interopérabilité. Ces engagements mettent un accent particulier sur les femmes et les filles, que ce soit dans la promotion de la paix et de la sécurité ou comme des agents de la démocratie et de la prospérité d’un point de vue du développement. De surcroît, dans une époque de régression démocratique, nos engagements en matière d’aide humanitaire, de justice transitionnelle et de gouvernance équitable sont tous profondément nécessaires.
Mais le Canada doit faire des choix. Nos divers engagements en matière de défense, de développement et de démocratie peuvent s’appliquer non pas comme des initiatives totalement distinctes, mais plutôt en tandem. Ces engagements devraient cibler les domaines où les effets sont les plus susceptibles de perdurer et de se traduire par des avantages substantiels pour nos partenaires et alliés. Le travail de longue date des programmes de renforcement des capacités de lutte contre la criminalité et le terrorisme en Asie du Sud-Est, qui contribuent à la participation des femmes à la paix et à la sécurité, en est un exemple. Le renforcement des capacités de lutte contre le terrorisme pour les forces de l’ordre dans l’ensemble de l’ANASE a bénéficié de l’engagement continu du Canada, comme le programme de lutte contre le terrorisme CT-ASEAN, qui a formé plus de 550 agents dans 10 pays, favorisant ainsi la sécurité des frontières et la stabilité régionale.
En outre, la caractérisation par la Stratégie du pouvoir mondial « perturbateur » de la Chine, en particulier dans la mer de Chine méridionale, est conséquente et fait allusion au rôle en matière de sécurité que le Canada devrait jouer dans la région. Si le Canada veut renforcer sa contribution à la sécurité, il doit étendre sa capacité militaire existante et trouver un équilibre entre le renforcement des capacités nationales et les investissements dans les capacités de ses partenaires. Il ne faut pas négliger le risque d’un dépassement de nos engagements militaires ou de développement, et le préjudice qui en résulterait pour la réputation du Canada en tant que partenaire formidable de l’ANASE.
Afin de maximiser le succès des engagements matériels du Canada dans la Stratégie pour l’Indo-Pacifique, s’engager à moins, c’est parfois faire plus.
Leo Xu est consultant au sein du groupe Transformation du secteur public de Deloitte Canada. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Rendre les initiatives en matière d’éducation plus équitables
En tant que futurs héritiers de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, il est encourageant d’y voir des références aux jeunes et à l’éducation. Le Canada, avec une population vieillissante entraînant une diminution de la main-d’œuvre, doit faire des investissements à long terme pour attirer des talents brillants et diversifiés dans notre pays. Par le biais de la Stratégie, le Canada s’est engagé à « accroître les échanges dans l’enseignement et à augmenter les capacités de traitement des demandes de visa » dans l’Indo-Pacifique. Ainsi, le Canada finance 1.000 bourses d’études et de recherche et renforce le soutien aux étudiants internationaux cherchant à obtenir la résidence permanente et un emploi au Canada.
Il est positif de voir ces engagements à haut niveau. Toutefois, pour que ces engagements aient un effet sur toute la société, il faudra la participation non seulement de « l’élite » canadienne ou des universités axées sur la recherche, mais aussi de celles qui dispensent une éducation professionnelle de plus en plus vitale.
Par exemple, le programme de bourses d’études et d’échanges éducationnels pour le développement Canada-ANASE, annoncé en 2017, offre un financement aux étudiants des États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) pour mener des études ou des recherches au Canada axées sur le Programme de développement durable 2030 des Nations Unies. Néanmoins, la participation au programme est limitée aux établissements postsecondaires canadiens qui ont déjà un accord d’échange existant avec un pays de l’ANASE. Cela exclut des écoles polytechniques et des universités comme BCIT et Humber College, qui constituent une partie essentielle du secteur de l’éducation supérieure au Canada, mais qui bénéficient d’accords d’échange permanents beaucoup plus limités, voire inexistants, en Asie du Sud-Est. De même, l’initiative Canada Liaisons Internationales Chine (CLIC), qui offre un financement généreux aux étudiants canadiens pour étudier en Chine, est seulement ouverte aux étudiants de prestigieuses institutions de recherche du Canada.
Les universités et les écoles polytechniques canadiennes ne disposent peut-être pas non plus des fonds de recherche ou des ressources en général nécessaires pour profiter des opportunités décrites dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique qui sont disponibles pour d’autres établissements d’enseignement supérieur. À ce titre, des efforts délibérés doivent être faits afin d’apporter à ces établissements un soutien financier, logistique et relationnel, en particulier aux écoles qui font preuve d’initiative pour s’engager davantage avec les partenaires de l’Indo-Pacifique. Deux exemples prometteurs sont, d’un côté Saskatchewan Polytechnic (un établissement axé sur la formation technique), qui a inauguré un nouveau bureau et signé un protocole d’entente avec la Central Philippine University aux Philippines pour « explorer les possibilités d’éducation et de collaboration internationales entre les deux établissements », et l’Université Concordia, un établissement canadien à Montréal qui a inauguré un bureau de Conseil d’affaires Canada-ANASE sur son campus.
Au-delà de la volonté de ces deux établissements de recruter plus d’étudiants internationaux de l’Asie du Sud-Est, les deux communiqués de presse soulignent la possibilité d’autres domaines de collaboration, tels que des projets de recherche conjoints et de l’élaboration de programmes. Tous les niveaux du gouvernement canadien devraient apporter davantage d’aide pour encourager ces partenariats et ces liens, créant ainsi un effet plus global et durable pour les futurs héritiers de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique.
Ian Stone est analyste au sein du groupe Transformation de l’enseignement supérieur de Deloitte. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Saisir l’opportunité pour s’attaquer au racisme anti-asiatique
Les groupes de la diaspora asiatique au Canada sont identifiés comme des éléments clés à l’heure de bâtir des ponts dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, plus précisément dans son troisième pilier : investir dans les gens et tisser des liens entre eux. La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique présente la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme 2019-2022 du Gouvernement canadien comme une politique essentiel dans son engagement avec les Canadiens d’origine asiatique, en soulignant le besoin de « favoriser une plus grande inclusion des communautés de la diaspora » ayant des liens avec la région Indo-Pacifique et de combattre le racisme anti-asiatique au Canada. Toutefois, aucune des deux stratégies ne s’attaque spécifiquement au racisme anti-asiatique, surtout à la lumière de la pandémie de COVID-19 et des nouvelles confrontations géopolitiques entre le Canada et la Chine. Elle reste également vague sur la façon dont le gouvernement fédéral prévoit d’investir dans les communautés diasporiques au Canada dans le cadre du troisième pilier de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique.
Cette lacune dans la politique intérieure pourrait se combler en révisant la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme 2019-2022, d’autant plus que les groupes canadiens d’origine asiatique ont connu un pic de crimes anti-asiatiques liés à la pandémie de COVID-19. Certains redoutent un nouveau retour de bâton raciste en raison du sentiment antichinois croissant, qui pourrait s’aggraver si le Gouvernement canadien adopte une position plus stricte à l’égard de la Chine. Ottawa doit reconnaître les griefs raciaux et le racisme intériorisé que le climat géopolitique actuel et la pandémie ont fait remonter à la surface. Sinon, le Canada risque de marginaliser davantage les communautés de la diaspora asiatique.
Certains chercheurs canadiens se sont engagés dans des débats houleux à propos de la signification exacte du terme « Indo-Pacifique ». Un professeur a fait valoir que le terme pourrait s’agir d’une mesure « d’endiguement de la Chine ». D’autres ont affirmé qu’il s’agissait plutôt d’un alignement des partenaires de la région Asie-Pacifique pour « maintenir la domination des États-Unis ». Mais pour les groupes de la diaspora asiatique du Canada, ce terme suscite un sentiment de malaise, car une nouvelle étiquette, « communautés d’origine Indo-Pacifique », leur est imposée dans le cadre d’une nouvelle construction géopolitique. Une Stratégie canadienne de lutte contre le racisme réexaminée devrait présenter une stratégie claire et éclairée pour engager les communautés canadiennes d’origine asiatique d’une manière qui fasse progresser efficacement le langage du « multiculturalisme » et qui soutienne les conceptualisations de la diaspora en matière d’autoidentification et de sentiments d’appartenance au Canada.
Le Gouvernement canadien s’est engagé à verser 45 millions de dollars canadiens au cours de la période 2019-2022 pour la mise en œuvre de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, dont 30 millions de dollars canadiens sont allés à des projets communautaires et 4,5 millions de dollars canadiens ont été alloués au Secrétariat de lutte contre le racisme. Étant donné que la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique a été publiée un mois avant la conclusion de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, le gouvernement a l’occasion, par le biais d’un successeur à sa politique de lutte contre le racisme, de s’engager à nouveau et d’augmenter les investissements dans des projets des communautés des canadiens d’origine asiatique et le Secrétariat de lutte contre le racisme.
Dans le contexte de la pandémie, de nombreux organisateurs communautaires canadiens d’origine asiatique ont reproché à la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme de ne pas s’attaquer spécifiquement au racisme. Plusieurs de ces groupes communautaires, notamment le Conseil national des Sino-Canadiens – Section de Toronto et Projet 1907, ont été le fer de lance de l’identification et la lutte contre le racisme anti-asiatique. Une révision de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme doit s’attaquer explicitement au racisme anti-asiatique en assurant un financement soutenu et accru des projets communautaires asiatiques-canadiens et en renforçant la capacité du Secrétariat de lutte contre le racisme à les soutenir. Cela pourrait être la clé de voûte pour l’engagement de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique avec la diaspora asiatique-canadienne.
Patrick Leong est analyste des politiques à Environnement et changement climatique Canada. Jacklyn Yee est analyste des politiques commerciales à Ressources naturelles Canada. Les opinions exprimées dans cet article sont les leurs et ne reflètent pas celles de leurs employeurs.