À retenir
Le 3 mai 2024, l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux du Canada a publié son rapport initial sur l’ingérence présumée de la Chine et d’autres acteurs étrangers dans les élections fédérales canadiennes de 2019 et 2021. La commissaire Marie-Josée Hogue a conclu que, bien que l’intégrité des deux élections soit restée intacte, il y a bel et bien eu de l’ingérence étrangère, et que celle-ci a touché un « petit nombre de circonscriptions » et a laissé une « tache sur notre processus électoral ». La juge Hogue n’a pas tenté de faire concorder certains des témoignages contradictoires présentés lors des audiences, mais a souligné que des « mesures vigoureuses » étaient requises pour rétablir la confiance des Canadiens envers la démocratie et pour renforcer la capacité du gouvernement à détecter et à contrer l’ingérence étrangère. La commission remettra son rapport final le 31 décembre.
En bref
- Après plus de deux semaines d’auditions publiques et à huis clos, la Commission a déterminé que les élections fédérales de 2019 et de 2021 avaient été « administrées avec intégrité » et que l’ingérence étrangère n’a pas eu d’incidence sur le parti qui a formé le gouvernement.
- Si les acteurs étrangers n’ont pas eu d’incidence sur l’ensemble des résultats électoraux, la Commission a estimé qu’ils ont tout de même porté atteinte au droit des Canadiens à disposer d’un « écosystème électoral libre de coercition ou d’influence secrète ».
- Qui plus est, la Commission a constaté que « le plus grand préjudice » causé par l’ingérence étrangère réside dans le fait qu’elle est parvenue à effriter la confiance du public dans les institutions démocratiques canadiennes.
- Le rapport de la Commission indique que l’ingérence étrangère a pu avoir une incidence sur un « petit nombre de circonscriptions », notamment Don Valley North et Steveston–Richmond-East.
- En effet, Beijing pourrait avoir influencé le choix des élus au Parlement en s’immisçant dans la course à l’investiture du Parti libéral en 2019 dans la circonscription de Don Valley North, un siège libéral « sûr ». La juge Hogue a estimé qu’il s’agissait d’une préoccupation « importante ».
- Dans la circonscription de Steveston–Richmond-East, une campagne de désinformation liée à Beijing a probablement cherché à dissuader, sans que cela puisse être confirmé, les Canadiens d’origine chinoise de voter pour le candidat conservateur, dépeint par les organisateurs de la campagne de désinformation comme « anti-chinois ». La Commission a déterminé que ces arguments fallacieux auraient pu contribuer à la défaite du candidat conservateur dans cette circonscription.
- La juge Hogue n’a pas rendu de verdict sur les cas individuels discutés au cours des audiences et n’a pas non plus tenté de faire concorder les « preuves contradictoires » fournies par les différents témoins. Elle a toutefois indiqué qu’il ne s’agissait que d’un rapport intermédiaire, et que ces éléments pourraient être abordés dans le rapport final de la Commission.
Les conséquences
La Chine a été désignée comme le « principal responsable » de l’ingérence étrangère au Canada, une accusation que le ministère des Affaires étrangères a fermement rejetée. Le rapport aborde également brièvement les activités présumées de l’Inde, y compris la prestation de fonds illicites aux candidats favoris dans la période précédant les élections canadiennes de 2021 et conclut qu’il n’y a pas eu de « lacunes en ce qui concerne la circulation de l’information ou la réponse du gouvernement [canadien] à cet égard ». On y indique également que le Pakistan aurait pu s’être livré à de l’ingérence, dont l’objectif principal aurait été d’exercer un effet de levier sur les politiciens et les intermédiaires contre l’Inde et ses intérêts.
Les diasporas sont « particulièrement vulnérables » à l’ingérence étrangère. Bien que les tactiques d’ingérence varient – p. ex. entretien de relations durables, soutien financier, corruption, chantage, cyberattaques, campagnes de désinformation [dans les médias étrangers] et utilisation de mandataires – la Commission a constaté que la façon la plus courante dont les gouvernements étrangers contraignent et manipulent les diasporas canadiennes est de menacer les membres de leur famille qui vivent dans leur pays d’origine. Selon le rapport, ces tactiques servent à cibler les dissidents, à amplifier les messages de l’État, à contrôler l’opinion publique, à semer la discorde et à dissuader la participation à la vie publique.
La communauté du renseignement doit « en dire plus » aux principaux décideurs. Le rapport mentionne que dans certains cas, les renseignements relatifs à l’ingérence étrangère « ne sont pas parvenus à leur destinataire » ou « n’ont pas été correctement compris par ceux qui les ont reçus ». La Commissaire Hogue a observé des divergences entre la façon dont les élus et les agents du renseignement au Canada comprenaient les rôles et les responsabilités de certains acteurs, et c’est pourquoi certains « [ont révélé] uniquement de l’information générale, sans entrer dans les détails, » lors des séances d’information. Par conséquent, cela a constitué « un frein important au partage d’information » et aurait pu empêcher les fonctionnaires de bien comprendre les renseignements reçus et de prendre les mesures qui s’imposent.
Il est difficile de décider s’il faut informer le public d’une tentative d’ingérence étrangère. La juge Hogue a souligné le paradoxe qui consiste à sensibiliser les Canadiens aux incidents au risque d’« ébranler inutilement la confiance dans un système qui demeure fondamentalement sain », ce qui est souvent l’objectif final des États qui mènent des actions d’ingérence à l’étranger. Le rapport mentionne notamment que l’organisme non partisan de hauts fonctionnaires chargé d’informer le public des tentatives d’ingérence étrangère – connu sous le nom de « Panel des cinq » – n’a pas émis d’avertissement concernant la campagne de désinformation visant les candidats du Parti conservateur par crainte d’attribuer à tort les activités en ligne à des acteurs étatiques étrangers, et de semer ainsi la discorde et la méfiance au sein de la population canadienne.
Prochaines étapes :
1. Les audiences publiques reprendront en septembre
Au cours de la prochaine phase de l’enquête, la Commission devrait formuler des recommandations afin d’améliorer la manière dont les renseignements et les informations sont communiqués aux élus, aux partis politiques, au public et aux diasporas; de définir la manière dont les Canadiens peuvent être informés des dangers d’une ingérence étrangère sans perdre confiance dans le système électoral; de déterminer le moment où le gouvernement doit intervenir dans la désinformation en ligne et la façon dont il doit le faire; et de déterminer s’il est nécessaire de modifier la loi régissant les courses à l’investiture des partis politiques.
2. Ottawa présente un projet de loi visant à lutter contre l’ingérence étrangère
Le 6 mai dernier, indépendamment du rapport de la Commission, le gouvernement a présenté un projet de loi attendu depuis longtemps qui vise à renforcer la capacité du Canada à contrer l’ingérence étrangère. Le projet de loi comprend des modifications à la Loi sur le SCRS, des modifications à la Loi sur la protection de l’information, au Code criminel et à la Loi sur la preuve au Canada, ainsi que la création d’un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère. Bien que ces mesures placent la réponse du Canada en matière de lutte contre l’ingérence étrangère à un niveau plus proche de celui de ses alliés du Groupe des cinq, des inquiétudes subsistent quant à la capacité du pays à adopter ces mesures avant les prochaines élections fédérales, qui se tiendront au plus tard le 20 octobre 2025.
• Édition : Ted Fraser. Conception : Chloe Fenemore.