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L’élection en Indonésie s’inscrit dans une continuité politique, mais laisse planer une incertitude quant à la trajectoire démocratique du pays

À retenir

Les résultats provisoires du scrutin présidentiel du 14 février en Indonésie semblent indiquer l’élection du ministre de la Défense Prabowo Subianto. En date du 20 février, les 71,4 % de bulletins de vote dépouillés accordaient la victoire à Prabowo par 58 % des voies, loin devant ses rivaux. Les résultats officiels ne devraient pas être annoncés avant le 20 mars, et le nouveau président entrera en poste en octobre. L’élection de Prabowo rassurerait de nombreuses parties prenantes, car il s’est engagé à conserver bon nombre des politiques du président sortant Joko Widodo (Jokowi), qui a atteint la limite de mandats fixée. Or, certains Indonésiens sont découragés par les questions de violations des droits de la personne auxquelles Prabowo a été mêlé dans le passé.

En bref

  • Prabowo, ancien lieutenant-général de l’armée maintenant âgé de 72 ans, n’est pas parvenu à obtenir la majorité des voix lors de ses deux premières candidatures à la présidence en 2014 et en 2019, contre Jokowi. En 2019, Jokowi l’a nommé ministre de la Défense.
  • Prabowo, dont la récente campagne présidentielle a reçu l’accord implicite de Jokowi, a choisi le fils aîné de ce dernier, Gibran Rakabuming Raka, comme son candidat à la vice-présidence.
  • Prabowo devrait renforcer le rôle que joue l’Indonésie au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) en lui faisant jouer un rôle de premier plan au sein de l’organisation. Cela tranche avec la présidence de Jokowi, qui mettait davantage l’accent sur la politique intérieure.

Implications

La victoire de Prabowo suscite de nouvelles inquiétudes au sujet de sa participation antérieure à des violations des droits de la personne. Les agissements antérieurs de Prabowo sont aujourd’hui scrutés à la loupe : il se serait livré à des actes de violation des droits de la personne sous le régime de l’ancien dictateur Suharto, qui a dirigé le pays de 1967 à 1998 et qui a également déjà été le beau-père de Prabowo. Pendant l’occupation du Timor-Leste (1975-1999) par l’Indonésie, Prabowo a pris part à l’exécution de plus de 300 civils timorais lors du massacre de Kraras de 1983. En 1996, il aurait participé au meurtre de civils en Irian Jaya (hautes terres de la Papouasie) pendant la crise des otages de Mapenduma. Entre 1997 et 1998, Prabowo a également ordonné l’enlèvement de plusieurs militants étudiants pro-démocratie, ce qu’il a publiquement reconnu lors de ses campagnes présidentielles de 2014 et de 2024. Les États-Unis lui ont interdit d’entrer sur son territoire en 1998, et le gouvernement australien l’a officieusement placé sur une liste noire. Ces interdictions ont été levées lorsqu’il est devenu ministre de la Défense.

Prabowo a essayé de redorer son image en se présentant comme un politicien accessible. On peut d’ailleurs souvent le voir flatter son chat bien-aimé ou danser dans des vidéos publiées sur les médias sociaux.

Ses détracteurs remettent en question l’indépendance judiciaire en Indonésie à la suite d’un jugement qui avantage le candidat à la vice-présidence de Prabowo, Gibran. La candidature de Gibran à la vice-présidence ne s’est pas faite sans controverse. L’homme de 36 ans s’était vu interdire de se porter candidat à la vice-présidence parce qu’il n’avait pas encore atteint l’âge minimal requis de 40 ans. Or, en 2023, la cour constitutionnelle a déterminé qu’une exception pouvait être accordée aux candidats à la présidence et à la vice-présidence qui ont déjà occupé une charge publique. Cette décision a alors permis à Gibran, maire de Surakarta, de se soustraire à l’exigence en matière d’âge. Plusieurs ont alors soutenu que cela constituait une atteinte flagrante à l’indépendance judiciaire, et certains partisans de longue date de Jokowi ont même suggéré que l’accession de son fils à la vice-présidence était une manière pour lui d’établir sa propre dynastie politique.

Prochaines étapes

  • Politique étrangère sous Prabowo

Prabowo a annoncé son intention de poursuivre la politique étrangère « Bebas-Aktif » (active et indépendante) de l’Indonésie, dans le cadre de laquelle l’Indonésie entretient des relations cordiales avec l’Occident, en particulier les États-Unis, et la Chine. Prabowo devrait faire progresser les liens de sécurité avec les États-Unis, puisqu’en tant que ministre de la Défense, il a supervisé l’achat d’avions de combat américains et a renforcé les relations entre les États-Unis et l’Indonésie par l’entremise d’un vaste partenariat stratégique. Entre-temps, les relations économiques avec la Chine devraient se poursuivre, puisque Prabowo a promis de donner suite aux les projets d’infrastructure lancés par l’administration Jokowi et que les investissements chinois constituent l’une des plus importantes sources de financement de l’infrastructure de l’Indonésie.

Ses politiques sur le nickel, un composant important des véhicules électriques, présentent d’ailleurs un intérêt pour les investisseurs étrangers. Comptant des réserves de nickel d’environ 21 millions de tonnes, l’Indonésie est le plus important producteur de nickel au monde. Prabowo et Gibran se sont engagés à faire progresser la politique descendante de Jokowi, qui vise à maximiser la transformation du nickel à l’échelle nationale afin d’en accroître la valeur.

  • Liens bilatéraux entre le Canada et l’Indonésie  

En 2022, le commerce bilatéral de marchandises entre le Canada et l’Indonésie totalisait 6,24 milliards $ CA, et les exportations de marchandises canadiennes en Indonésie atteignaient 3,3 milliards $ CA. Cela fait de l’Indonésie le plus important marché d’exportation du Canada en Asie du Sud-Est. En 2021, les deux pays ont entamé des discussions sur la conclusion d’un accord de partenariat économique global (APEG) en vue de renforcer les échanges commerciaux et les investissements bilatéraux. La septième ronde de négociations devrait avoir lieu en mars 2024.

Les relations entre le Canada et l’Indonésie devraient également s’approfondir à mesure que le Canada accroît sa collaboration avec l’ANASE. Lors de la 10e réunion élargie des ministres de la Défense de l’ANASE qui s’est déroulée à Jakarta en décembre 2023, Prabowo, en sa qualité de ministre de la Défense, a mentionné la possibilité d’élargir la composition du groupe à la lumière de nouvelles directives octroyant le statut d’observateur au Timor-Leste. Le Canada a indiqué il y a longtemps qu’il souhaitait participer à la réunion élargie des ministres de la Défense, à laquelle prennent part des États membres de l’ANASE ainsi que l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la Nouvelle-Zélande, la Russie et les États-Unis.

La victoire prochaine de Prabowo a déjà été reconnue par l’Australie, l’Inde, la Chine et la Russie. L’accession anticipée de Prabowo à la présidence de l’une des grandes puissances met en évidence l’importance grandissante de l’Indonésie ainsi que la nécessité croissante de créer des liens avec le pays.

• Produit par l’équipe d’Asie du Sud-Est de la FAP Canada : Hema Nadarajah, gestionnaire de programme ; Alberto Iskandar, analyste ; Sasha Lee, analyste. Éditeur : Ted Fraser. Designer graphique : Chloe Fenemore

Hema Nadarajah

Ph.D. Hema Nadarajah est gestionnaire de programme, Asie du Sud-Est, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'University of British Columbia, où elle a effectué des recherches sur la gouvernance dans l'Arctique, le changement climatique et l'espace extra-atmosphérique. Ph.D. Nadarajah est conseillère auprès du WWF et a travaillé auparavant pour le gouvernement de Singapour sur des questions de conservation de la biodiversité internationale et de changement climatique.

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Alberto Iskandar

Alberto Iskandar est chercheur-boursier à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Il a obtenu son diplôme de grade de premier cycle à l’Université Simon Fraser, avec une spécialisation en sciences politiques et une mineure en études internationales, et a été diplômé en 2021. Ses recherches portent sur le multilatéralisme en Asie du Sud-Est et dans l’ANASE, le développement durable et les questions liées à la sécurité et à la défense en Asie du Sud-Est. Il a précédemment travaillé en tant que chercheur fonctionnaire à la Communauté de politique étrangère d’Indonésie (Foreign Policy Community of Indonesia).

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Sasha Lee

Sasha Lee est chercheuse post-universitaire au sein de l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’University of British Columbia et un baccalauréat à la Korea University, avec une double spécialisation en sciences politiques et en communication avec les médias. Ses travaux portent notamment sur les technologies renouvelables et la gouvernance environnementale des pays en développement.

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