Le pacte de sécurité entre la Russie et la Corée du Nord fusionne la sécurité du Nord-Est de l’Asie et de l’Europe

Putin and Kim meeting in June 2024

À retenir

Un nouveau partenariat de sécurité rehaussé entre la Russie et la Corée du Nord marque un tournant décisif dans la compétition contemporaine entre les grandes puissances, fusionnant les zones de sécurité de l’Indo-Pacifique et de l’Europe et contribuant à consolider l’harmonisation entre le Japon et la Corée du Sud; non seulement entre les deux pays, mais également avec les États-Unis et ses autres alliés.

Le Canada a l’occasion de prouver sa valeur en tant que partenaire dans les deux sphères géopolitiques – par son adhésion à l’OTAN (ainsi que son soutien à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie) et en tirant parti de sa stratégie indo-pacifique et de son engagement à renforcer la coopération en matière de sécurité avec Tokyo et Séoul.

Putin and Kim toasting
Sur cette photographie partagée distribuée par l’agence d’état russe Sputnik, le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un portent un toast lors d’une réception à la maison de réception de Mongnangwan le 19 juin 2024. Poutine a été accueilli sur tapis rouge, avec une cérémonie militaire et une étreinte de Kim Jong-un lors d’une visite d’état à Pyongyang, où tous deux se sont engagés à développer des liens plus étroits. | Photo : Vladimir Smirnov/Pool/AFP sur Getty Images

En bref

  • Les 17 et 18 juin, le président russe Vladimir Poutine a effectué une rare visite en Corée du Nord, lors de laquelle les deux alliés de la guerre froide ont ultimement élevé leur relation au rang de « partenariat stratégique complet » – soit le plus haut niveau d’engagement diplomatique de Moscou. Comparativement à la relation de l’ère soviétique, le dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong-un joue désormais un rôle plus important. Pour poursuivre sa guerre en Ukraine, Poutine a désespérément besoin de matériel militaire, que la Corée du Nord, fortement militarisée, peut facilement lui fournir.
     
  • Nous ignorons toutefois à l’heure actuelle en quoi la Corée du Nord profitera de ce partenariat amélioré. Elle possède déjà une capacité considérable à créer des armes nucléaires et des systèmes de lancement, mais Moscou pourrait l’aider à franchir les prochaines étapes de développement en transférant de la technologie militaire secrète
     
  • Immédiatement après la rencontre entre Kim et Poutine, le gouvernement sud-coréen a dit envisager de revoir ses précédents engagements de fournir uniquement de l’aide non létale à l’Ukraine. Elle a ensuite nuancé cette déclaration en ajoutant que toute décision d’envoyer de l’aide létale à Kiev dépendrait des actions de la Russie concernant la Corée du Nord.
     
  • Le Canada a également un intérêt direct pour la sécurité sur la péninsule coréenne : il a maintenu une présence continue dans le Commandement des Nations Unies en Corée du Sud depuis le début de la guerre de Corée en 1950. Il a aussi soutenu activement, par l’entremise de l’Opération NEON, un effort multinational visant à renforcer les sanctions imposées par l’ONU, dont l’objectif est de faire pression sur Pyongyang pour abandonner ses programmes d’armes de destruction massive. La Russie travaille maintenant activement pour démanteler les sanctions imposées par l’ONU (en faveur desquelles elle a déjà voté), ce qui pourrait ajouter à l’incertitude et à l’urgence de ces mesures coercitives.

Implications 

Un effet « galvanisant » sur la coopération en matière de sécurité entre le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis.

Depuis que les dirigeants du Japon, de la Corée du Sud et des États-Unis ont procédé à un sommet historique à Camp David en août 2023, les trois alliés ont travaillé assidûment pour institutionnaliser leur coopération en matière d’économie et de sécurité, particulièrement la partie Séoul-Tokyo de cette relation. Le nouveau sentiment d’urgence apparu après la rencontre entre Kim et Poutine est susceptible de « dynamiser » cette coopération. Le 23 juin, Washington, Séoul et Tokyo ont publié une déclaration commune condamnant « dans les termes les plus forts possible » l’approfondissement de la coopération militaire entre la Russie et la Corée du Nord. En particulier, la déclaration commune reflète l’extension des horizons sécuritaires de Tokyo et de Séoul; une partie de la condamnation déplorait le fait que les transferts d’armes vers la Russie « prolongeraient les souffrances du peuple Ukrainien ».

En 2022, le Japon et la Corée du Sud sont devenus observateurs de l’OTAN, motivés par l’inquiétude croissante qu’ils partageaient avec les membres de l’OTAN au sujet des agressions de la Russie ainsi que de l’affirmation internationale croissante de la Chine.

Beijing demeure plutôt silencieux.

La Corée du Nord est le seul allié officiel de la Chine, et la Russie est son partenaire stratégique le plus proche. Ainsi, même si la Chine montre certaines réserves à propos de l’approfondissement de la coopération entre la Russie et la Corée du Nord, elle s’est retenue de critiquer publiquement ses deux partenaires. Toutefois, la Chine s’inquiète que Kim Jong-un, se sentant soudainement plus influent envers Beijing, soit encouragé à prendre des mesures qui déstabiliseraient la région, ce qui ne serait manifestement pas dans l’intérêt de la Chine.

De plus, Beijing n’a cessé de ridiculiser les États-Unis et ses alliés pour avoir formé des « petits blocs » et des alliances de type guerre froide « qui divisent le monde en deux camps rivaux ». Elle ne voudrait pas donner l’impression de saboter sa position en rejoignant son propre « petit bloc ». C’est pourquoi la Chine a pris soin de décrire les relations entre Beijing, Pyongyang et Moscou comme étant trois relations bilatérales distinctes plutôt que comme un accord trilatéral émergent.

Enfin, Beijing n’aurait pas intérêt à se voir restreinte par Moscou et Pyongyang. La Chine préfère conserver une certaine marge de manœuvre afin d’améliorer les relations avec Séoul et même Tokyo, dans l’espoir de les éloigner des États-Unis. En fait, pendant que Vladimir Poutine était en Corée du Nord, le personnel diplomatique et militaire de la Chine rencontrait ses homologues sud-coréens afin de discuter des enjeux tels que la stabilité de la péninsule coréenne.

Le Japon vit un « éclair de lucidité ».

Sans aucune ambiguïté, le Japon considère le partenariat renforcé entre la Russie et la Corée du Nord comme une détérioration imminente de son environnement de sécurité. Dans le passé, Tokyo a essayé de résoudre des enjeux bilatéraux sensibles avec les deux pays, à savoir la résolution de la question des territoires du Nord avec la Russie et l’enlèvement de citoyens japonais par la Corée du Nord. Selon un expert, les récents développements ferment pratiquement la porte à tout espoir de progression sur l’un ou l’autre de ces enjeux, donnant du même coup aux dirigeants japonais une vision claire du besoin de redoubler d’efforts dans l’alliance du Japon avec les États-Unis.

Prochaines étapes

La sécurité de l’Indo-Pacifique sera au programme lors du prochain sommet de l’OTAN

Du 9 au 11 juillet, Washington tiendra le sommet 2024 de l’OTAN, qui pourrait offrir une meilleure visibilité sur la façon dont les zones de sécurité de l’Indo-Pacifique (particulièrement l’Asie du Nord-Est) et de l’Europe sont en train de fusionner. Compte tenu de la détérioration des environnements de sécurité de l’Indo-Pacifique et de l’Europe, la pression sur le Canada continuera de s’intensifier pour que ce dernier respecte ses obligations collectives en matière de sécurité, y compris le seuil des 2 % de l’OTAN.

Vina Nadjibulla

Vina gère les activités de recherche, d’éducation et de soutien au réseau de la FAP Canada. Elle supervise également les programmes de subventions et de bourses de recherche de la Fondation, ainsi que les projets de développement et de renforcement des capacités. Elle intervient fréquemment dans les médias pour commenter la géopolitique, la politique étrangère canadienne et les relations entre le Canada et l’Asie, en particulier l’Inde et la Chine.

En tant que spécialiste de la sécurité internationale et de la consolidation de la paix, Vina son expérience professionnelle s’étend sur plus de vingt ans dans les domaines de la diplomatie de haut niveau, de la défense des intérêts, de l’élaboration de politiques et de l’analyse des risques politiques.

Des zones de guerre aux salles de réunion, Vina a travaillé avec des gouvernements nationaux, des organisations à but non lucratif et des organisations philanthropiques au Canada, aux États-Unis, en Chine et dans un certain nombre de pays d’Afrique et d’Asie centrale.

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Erin Williams

Erin est gestionnaire principale de programme à la Fondation Asie Pacifique du Canada, où elle supervise les programmes liés aux compétences et à l’éducation sur l’Asie et dirige le programme de développement des Jeunes professionnels Canada-Asie de la Fondation. 

Avant de rejoindre la FAP Canada, Erin a contribué au Comité des membres canadiens du Conseil de coopération pour la sécurité dans l’Asie-Pacifique (CSCAP), un dialogue régional sur la sécurité dans le cadre du deuxième front. À ce titre, elle a participé à deux groupes d’étude coprésidés par le Canada : l’un sur le maintien et la consolidation de la paix au niveau régional, l’autre sur la responsabilité de protéger. Elle a également été corédactrice (avec Brian Job) de la publication phare annuelle du CSCAP, The CSCAP Regional Security Outlook. Erin a travaillé comme adjointe à la rédaction de Pacific Affairs et dans le domaine de l’éducation des immigrants et des réfugiés dans le Minnesota et en Californie.

Erin est titulaire d’une maîtrise en études politiques Asie-Pacifique de la University of British Columbia et d’une maîtrise en relations internationales de la Boston University.

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