Le soutien des gouvernements locaux chinois favorise la construction d’une version nationale de Starlink

iuquan Satellite Launch Centre scene
Jiuquan Satellite Launch Centre in the Gobi Desert in northwest China on April 23, 2025. | Photo: Pedro Pardo/AFP via Getty Images

La Chine enregistre des progrès considérables dans sa quête de supériorité spatiale. Une initiative notable est le réseau SpaceSail, une méga-constellation de satellites en orbite terrestre basse conçue pour fournir des services d’Internet haut débit, qui devrait devenir opérationnelle dans une sélection de pays plus tard cette année. Environ100 satellites ont déjà été lancés, avec 500 autres prévus en orbite d’ici la fin de l’année 2025. Shanghai Spacecom Satellite Technology (SSST), société mère de SpaceSail, vise à rendre ce réseau pleinement opérationnel dès 2023, avec une constellation de 15 000 satellites. 

SpaceSail a récemment fait la une en sécurisant des contrats de services avec le Brésil, le Kazakhstan, la Malaisie et la Thaïlande. Une fois opérationnel, SpaceSail se positionnera comme le seul rival comparable à Starlink, le plus vaste réseau de satellites au monde, développé par SpaceX.

En 2018, SpaceX a lancé les premiers satellites tests de sa constellation Starlink, marquant un « moment Spoutnik » pour l’industrie spatiale chinoise. Les méga-constellations, composées de dizaines de milliers de satellites, ont le potentiel de révolutionner l’accès mondial à Internet haut débit, le rendant plus accessible, précis et résilient face aux destructions physiques que les réseaux terrestres. Pour la Chine, le développement de sa propre constellation de satellites Internet est devenu une priorité stratégique, tant pour des usages militaires – notamment les opérations et le déploiement – que pour ses ambitions technologiques et géopolitiques. Un sentiment d’urgence anime également la Chine : si l’américain Starlink, qui prévoit de déployer des dizaines de milliers de satellites en orbite basse, parvient à s’approprier les meilleures fréquences pour l’Internet par satellite, cela pourrait limiter le programme chinois de méga-constellations et maintenir la Chine derrière les États-Unis dans la course à l’espace.

En tant qu’entreprise soutenue par le gouvernement municipal de Shanghai, la capacité de SSST à mener à bien ce projet d’envergure témoigne d’une politique de décentralisation industrielle en Chine. Alors que la direction nationale supervise les missions spatiales chinoises, une part croissante des initiatives émane des gouvernements locaux. Le gouvernement de Shanghai, dans ce cas, a déployé des efforts politiques majeurs pour développer un environnement favorable et une chaîne d’approvisionnement localisée, maximisant ainsi les chances de réussite de SpaceSail.

Au-delà des initiatives étatiques venant d’en haut, les gouvernements sous-nationaux en Chine bénéficient d’une autonomie importante pour expérimenter dans le développement de l’industrie spatiale commerciale nationale. Ils sont idéalement placés pour atteindre cet objectif, étant proches des partenaires commerciaux et soutenant ainsi les innovateurs comme SSST, suffisamment solides pour attirer des investissements directs. Les dynamiques concurrentielles entre les différentes régions, souvent négligées dans les discussions sur la Chine, les poussent à rivaliser pour occuper des positions de leadership dans des secteurs clés.

Les politiques de soutien de Shanghai ont créé les conditions propices à la croissance de SpaceSail.

Ces dernières années, la Chine a vu l’émergence de plusieurs programmes de méga-constellations, dont la constellation Guowang soutenue par Pékin en 2021, le projet SpaceSail en 2023 et la constellation Honghu-3 en 2024, portée par une entreprise privée basée à Shanghai. Shanghai s’impose naturellement comme un pôle pour les projets de satellites à grande échelle, tirant parti de son leadership en fabrication intelligente et de sa capacité à augmenter la production de satellites, ce qui lui confère un avantage au profit des nouveaux clusters spatiaux.

En 2023, le gouvernement de la ville de Shanghai a dévoilé un plan d’action triennal pour faire avancer le développement commercial de l’espace et positionner la ville comme chef de file national dans l’industrie de l’information spatiale. Les économies d’échelle devraient renforcer la capacité de Shanghai à commercialiser les percées technologiques clés, notamment le développement de véhicules de lancement réutilisables, une technologie essentielle pour réduire les coûts et garantir la durabilité des satellites. Cette avancée sera cruciale pour la réussite des méga-constellations, d’autant plus que la Chine accuse actuellement un retard d’une dizaine d’années sur SpaceX.

Ce n’est pas la première fois que Shanghai cherche à tirer parti de l’effet de grappe. Avant le plan d’action de 2023, le gouvernement municipal avait établi, en 2021, une nouvelle « base industrielle G60 » spécifiquement pour le projet SpaceSail. La création de bases industrielles est une pratique courante en Chine, où des zones désignées sont implantées en amont et en aval des industries ; dans ce cas, la conception de satellites et les incubateurs d’applications satellitaires collaborent afin de former une chaîne industrielle intégrée. Située à proximité d’une grappe de l’économie numérique et d’entreprises spécialisées dans la communication 5G, la base a atteint une capacité de production annuelle de 300 satellites, avec le potentiel de doubler cette production tout en réduisant les coûts de fabrication de 35 %. L’existence de telles infrastructures avant le lancement du réseau SpaceSail a fourni des bases solides pour la croissance rapide du projet.

Le soutien financier, constituant un élément clé des mesures politiques de Shanghai pour renforcer son industrie stratégique, joue un rôle vital dans le lancement d’acteurs émergents. SSST en est un exemple, ayant bénéficié de financements publics et d’un accès au capital privé guidé par les politiques. Cette tendance a été encouragée par le gouvernement municipal, à la suite des réformes nationales de commercialisation du secteur aérospatial en 2024 en Chine, lesquelles ont assoupli les restrictions sur les investissements privés, y compris ceux d’investisseurs étrangers, avec des spécifications pour le secteur spatial commercial émergent. En 2024, SSST a réussi à lever 1,33 G$ CA (6,7 milliards de yuans) lors de son tour de financement de série A auprès de divers investisseurs publics et privés, représentant la plus importante levée de fonds réalisée par une entreprise du secteur des satellites.

En tant que centre financier de la Chine, Shanghai offre un environnement propice aux affaires, proposant divers programmes de subventions et de financements pour soutenir les initiatives innovantes dans le secteur spatial. SSST a été initialement fondée grâce à des fonds de la Commission municipale de gestion des actifs publics et de Shanghai Alliance Investment, une société de capital-risque publique spécialisée dans l’investissement et l’incubation des technologies émergentes. Plusieurs des principaux actionnaires de l’entreprise, dont la plupart entretiennent des liens avec le gouvernement municipal, ont apporté non seulement des ressources financières, mais aussi des compétences complémentaires essentielles aux projets de SSST. Par exemple, Microsat, première institution scientifique chinoise en matière de satellites, est impliquée dans l’assemblage et les tests des satellites de SpaceSail.

En avril, Shanghai a annoncé de nouvelles mesures pour accroître son soutien financier aux entreprises développant des technologies spatiales, y compris les fusées commerciales, les satellites et les terminaux, pour un total de 57,5 M$ CA (300 millions de yuans) en subventions. Le gouvernement subventionnera également les mises à niveau de la production manufacturière afin de promouvoir la modernisation industrielle. Les entreprises actives dans le lancement de fusées et la construction de constellations sont également éligibles à des subventions de plusieurs millions de dollars. Ces mesures financières visent à garantir que les programmes spatiaux du secteur privé, qui entraînent souvent des coûts importants, bénéficient d’un soutien adéquat et produisent des résultats significatifs.

De plus, une grande partie des infrastructures proposées dans le plan d’action triennal s’appuie sur des efforts continus pour cultiver le capital humain, en faisant de la ville un lieu attractif pour vivre et travailler. Ces initiatives incluent le financement de nouveaux laboratoires, d’instituts de recherche et de plateformes de collaboration technique, ainsi que des programmes de proximité avec les établissements d’enseignement supérieur pour attirer les talents.

Les efforts d’internationalisation pourraient rencontrer des obstacles

L’une des priorités clés de Shanghai pour son secteur spatial commercial en 2025 est l’internationalisation. Actuellement, l’industrie spatiale chinoise répond principalement à la demande intérieure, ce qui freine la croissance internationale de ses entreprises. Une proposition politique présentée lors de la session shanghaïenne des « Deux Sessions » cette année a réitéré la nécessité d’efforts gouvernementaux pour aider les entreprises du secteur spatial à accéder aux marchés internationaux. Les mesures proposées incluent la création de centres et de laboratoires de R&D transnationaux dans le domaine spatial, afin de permettre aux entreprises du secteur de collaborer avec leurs homologues internationaux, ainsi que la facilitation de l’exportation de composants et de technologies aérospatiales là où la situation le permet. La proposition a également mis en lumière des régions spécifiques, telles que les pays situés le long de la Nouvelle Route de la soie, ainsi que les pays arabes, africains et asiatiques, qui pourraient constituer des marchés stratégiques pour l’expansion du secteur spatial chinois.

Les partenariats internationaux profiteront à la constellation SpaceSail en facilitant un accès accru aux réserves mondiales de connaissances et en stimulant l’innovation dans le développement de lanceurs réutilisables, dont le besoin est pressant. En revanche, la création de collaborations internationales avec d’autres nations engagées dans la conquête spatiale pourrait se heurter à des défis considérables, compte tenu de la nature compétitive du secteur et des potentielles implications pour la sécurité nationale. Si le Canada et d’autres pays occidentaux, leaders dans les technologies spatiales, souhaitent concurrencer efficacement la Chine dans ce domaine, ils devront observer comment celle-ci utilise de vastes politiques industrielles pour développer des grappes et des champions nationaux - un processus similaire à celui qui lui a permis de dominer les secteurs des véhicules électriques, de l’énergie solaire, entre autres domaines clés. Pour préserver leurs avantages compétitifs, le Canada et ses alliés doivent offrir à leur secteur privé un financement et un soutien politique d’un niveau comparable à celui de la Chine. De plus, comprendre la stratégie chinoise consistant à accorder davantage d’autonomie et de rôles actifs aux gouvernements régionaux pourrait fournir des perspectives précieuses au Canada et à d’autres pays, à mesure qu’ils mettront en place des politiques pour maintenir leur compétitivité dans le secteur spatial.

Conclusion :

Les politiques industrielles chinoises se caractérisent par d’importantes subventions étatiques ; cependant, le rôle joué par les gouvernements locaux est souvent sous-évalué. Alors que les efforts de Beijing pour renforcer sa puissance industrielle et technologique, dans un contexte de tensions commerciales de plus en plus complexes avec les États-Unis, attirent l’attention, les avancées d’initiatives telles que SpaceSail rappellent qu’il est important d’observer comment ces priorités nationales se concrétisent, de façon pragmatique, à travers les provinces et les villes.

Si le parrainage étatique peut être initialement efficace, il se heurte souvent à des inefficacités au-delà des premières étapes, laissant ainsi le secteur commercial prendre le relais pour occuper des positions de leader dans la stimulation de l’innovation. Le programme SpaceSail, principalement orchestré par le gouvernement municipal de Shanghai, illustre le rôle des gouvernements locaux dans l’apport de soutien politique et financier, ainsi que dans la construction de grappes industrielles pour faire avancer les objectifs nationaux, en encourageant les projets phares et la croissance durable de l’industrie spatiale commerciale. 

Du point de vue de Shanghai, bâtir une grappe performante pour l’industrie spatiale et des initiatives emblématiques répond à des objectifs à la fois politiques et économiques. Les services d’internet par satellite, en particulier, ont le potentiel de générer d’importants profits sur les marchés internationaux et peuvent être cités comme indicateurs de performance, conformément aux objectifs politiques chinois d’excellence dans la compétition technologique de pointe. À mesure que la Chine poursuit sa quête de domination spatiale, il est essentiel pour les observateurs de reconnaître le rôle déterminant joué par les gouvernements municipaux, car suivre de près ces dynamiques locales est fondamental pour comprendre la trajectoire future de l’industrie spatiale en Chine.

 Édité par Vina Nadjibulla, vice-présidente de la recherche et de la stratégie, et Charles Labrecque, directeur de la recherche à la FAP Canada.

Xiaoting (Maya) Liu

Xiaoting (Maya) Liu est gestionnaire principale de programme, Chine, à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'une maîtrise en affaires internationales de la School of International and Public Affairs (SIPA) de l'Université de Columbia.

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Steve Zhu

Steve Zhu is a Research Scholar with the China team at the Asia Pacific Foundation of Canada. His research interests centre on U.S.-China competition, Canadian foreign and defence policy, and European foreign affairs. He holds an MA in International Affairs from the Hertie School in Berlin, and a BA in Political Science and History from the University of Toronto.

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