Taïwan au centre de l’ère à venir de l’IA : Une opportunité pour le Canada: Points saillants

Dr. Harry Tseng

La Fondation Asie Pacifique du Canada (FAP Canada) a accueilli Dr. Harry Tseng, représentant du Bureau économique et culturel de Taipei au Canada, pour une adresse liminaire et une discussion organisée le 9 septembre 2024, au bureau de la fondation à Vancouver. L'événement, qui comptait parmi son auditoire des représentants commerciaux et diplomatiques locaux, ainsi que des membres du public, a porté sur la concurrence pour le leadership en matière d'intelligence artificielle et de semi-conducteurs, ainsi que sur les implications géopolitiques de cette rivalité et les possibilités de coopération entre le Canada et Taïwan. Vina Nadjibulla, vice-présidente de FAP Canada, et chargée de la recherche et de la stratégie, a animé la discussion.

Dr. Tseng a commencé par souligner la prédominance de Taïwan dans l'industrie des semi-conducteurs, résultat selon lui d'une combinaison de facteurs : opportunités favorables, vivier de talents en nouvelles technologies et politiques gouvernementales judicieuses. Aujourd'hui, Taïwan produit 60% des semi-conducteurs utilisés dans le monde, dont 90% des puces perfectionnées. Naturellement, les grandes nations industrielles cherchent à nouer des liens avec Taïwan pour tirer parti de son expertise et sa prouesse technologique dans ce secteur.

Par exemple, la société taïwanaise de fabrication de semi-conducteurs TSMC, leader mondial du secteur, a mis en place une stratégie d'expansion mondiale comprenant une nouvelle usine de 10 milliards d'euros à Dresde, en Allemagne, en plus de deux autres nouvelles fonderies en Arizona aux États-Unis et au Japon. Dr. Tseng a noté que certains observateurs prédisent que ces investissements augmenteront les coûts de production, nuisant potentiellement à la compétitivité de la société. Toutefois, il a ajouté que cette expansion reste nécessaire pour renforcer la résilience de la chaîne d'approvisionnement. La chaîne d'approvisionnement liée à la fabrication de puces est longue et complexe, impliquant jusqu’à 1000 entreprises et demandant une coopération internationale.

Dr. Tseng a poursuivi en expliquant que les pénuries de puces vécues durant la pandémie ont servi d'alerte sur la vulnérabilité de ces chaînes d'approvisionnement. Alors que les économies connectées se concentreraient sur des chaînes d'approvisionnement rapides qui minimisaient les stocks et réduisaient les coûts de production, elles priorisent désormais des chaînes d'approvisionnement sûres, capables de résister aux perturbations mondiales. Après la COVID, plusieurs pays ont adopté des législations visant à protéger leurs chaînes d'approvisionnement, y compris dans le secteur des semi-conducteurs. Par conséquent, TSMC, comme d'autres fabricants de puces mondiaux, a commencé à diversifier leurs investissements et à renforcer et élargir ses chaînes d'approvisionnement. Le site industriel de Dresde illustre ce changement stratégique. Il a ajouté que si la diversification peut améliorer la résilience, elle peut aussi entraîner un "exode" des industries locales. De ce fait, a expliqué Dr. Tseng, TSMC continuera à produire ses puces les plus perfectionnées à Taïwan.

À l'aube de ce qu'il appelle le "mégacycle de l'intelligence artificielle", Dr. Tseng a affirmé que l'essor de l'IA a accru la demande en semi-conducteurs et en composantes électroniques. Cela, déclare-t-il, représente une opportunité d'établir une coopération plus étroite entre le Canada et Taïwan, particulièrement grâce aux atouts du Canada en matière de talents technologiques de et de développement logiciel.

Récemment, Taïwan et le Canada ont tous deux annoncé des avancées dans leur relation bilatérale, mettant en place un cadre pour approfondir leur coopération. Notamment La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique (SIP) de 2022, Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE) bilatéral  de 2023, le Cadre de collaboration sur la résilience des chaînes d’approvisionnement de 2023, et L'accord relatif à la science, la technologie et l’innovation de 2024. Par ailleurs, le Canada et Taïwan ont signé en avril 2024 un accord moins connu, mais tout aussi important, sur la science, la technologie et l’innovation .

C’est dans cet esprit de partenariat, Dr. Tseng a fait remarquer, que Taïwan cherche également à faire partie de l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), dont le Canada assure la présidence en 2024. Il ajoute que non seulement Taïwan répondait à toutes les normes élevées requises pour y accéder, « mais nous partageons un engagement continu envers la démocratie, le travail acharné, et les principes du marché libre avec tous les membres du PTPGP. »

Au cours de la discussion, Mme Nadjibulla a évoqué les tensions géopolitiques et les défis découlant de la compétition entre les États-Unis et leurs alliés d'une part, et la Chine d'autre part, dans les secteurs des technologies émergentes telles que l'IA, l'informatique quantique, la biotechnologie et les semi-conducteurs. Tous ces secteurs sont essentiels au développement et à la sécurité d'un pays et sont de plus en plus sujets à des contrôles d'exportation et des études de pré-investissement. Elle a fait référence à ce que Dr. Tseng a mentionné lors de son discours liminaire, à savoir l'efficacité de ces mesures de contrôle qui ont efficacement entravé la capacité de la Chine à produire des puces semi-conductrices perfectionnées. Toutefois, a-t-elle noté, certains suggèrent que ces mesures de contrôle doivent être encore plus renforcées. Mme Nadjibulla a demandé quel était le point de vue de Taïwan sur la manière dont ces mesures pourraient être renforcées. Seraient-elles resserrées à travers la multilatéralisation de ces cadres régissant l'exportation?

Dr. Tseng a répondu que Taïwan fait partie des pays qui travaillent en étroite collaboration avec les États-Unis sur un régime élargi de contrôle des contrôles d'exportation en matière de technologies émergentes, aux côtés du Japon et des Pays-Bas. Il a néanmoins reconnu que la Chine était toujours capable de produire des puces de semi-conducteurs pouvant être utilisées dans du matériel militaire, y compris du matériel rendu disponible à la Russie pour sa guerre contre l'Ukraine. Alors que les inquiétudes concernant cette guerre continuent de croître, particulièrement parmi les pays du G7, le régime de contrôle des exportations s'est également étendu. Taïwan continuera à coopérer avec ce régime, a confirmé Dr. Tseng.

Mme Nadjibulla a posé ensuite une question qu'elle admet être controversée mais qui vaut la peine d'être posée : si la dépendance de la Chine pour certains types de semi-conducteurs taïwanais devait être rompue, cela pourrait-il écarter toute hésitation de la part de Pékin à s'engager militairement contre Taïwan ? Autrement dit, si ces deux sphères étaient complètement séparées, cela rendrait-il Taïwan plus vulnérable ?

En réponse, Dr. Tseng a déclaré que Taïwan s'efforce actuellement de différencier ses produits de ceux fabriqués par les concurrents chinois. Il a expliqué que la Chine a la capacité de produire (et même de surproduire) un grand nombre de semi-conducteurs, mais qu’elle n'arrive pas, pour le moment, à rattraper les avancées faites par Taïwan dans la fabrication des puces perfectionnées. Il n'est pas impossible que la Chine puisse un jour développer ses capacités, mais cela nécessiterait qu’elle ait un accès plus ouvert à certains types d'équipements et de matériaux produits par d’autres économies. L'industrie est extrêmement compétitive, a poursuivi Dr. Tseng, et demande une intensité capitalistique, énergétique élevée et du talent. Compte tenu de cette combinaison d'exigences, il a ajouté que la Chine n'arrivera pas à rattraper facilement les principaux pays fabricants de l'industrie des puces, d’autant plus que ceux-là continueront à travailler en collaboration.

Mme Nadjibulla a noté que le Canada, en plus de promouvoir la recherche en matière d'IA, souhaite jouer un rôle accru dans la sécurité énergétique.  Quels sont, a-t-elle demandé, les domaines prometteurs pour la coopération entre le Canada et Taïwan dans ce domaine ?

M. Tseng a répondu que « le Canada et Taïwan peuvent faire beaucoup » ensemble. Il a noté que récemment, les ports de la Colombie-Britannique ont commencé à exporter du gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Asie, des ressources énergétiques rapidement acquises par le Japon et la Corée du Sud. Il a salué les efforts déployés par le Canada pour accroître la capacité portuaire afin de soutenir la diversification des marchés, en particulier dans le domaine de l'énergie, en Asie. Mais, a-t-il ajouté, Taïwan accorde également la priorité aux énergies renouvelables, précisément à l'énergie éolienne.

Le Canada devrait tenir compte de cette transition - à laquelle adhèrent plusieurs économies de la région - dans l'élaboration de sa stratégie concernant son rôle futur en matière de sécurité énergétique dans la région Asie-Pacifique.

Pour plus d'informations sur le discours liminaire de Dr. Tseng et la discussion qui a suivi, animée par Mme Nadjibulla, visionnez notre enregistrement ci-dessous.

Erin Williams

Erin est gestionnaire principale de programme à la Fondation Asie Pacifique du Canada, où elle supervise les programmes liés aux compétences et à l’éducation sur l’Asie et dirige le programme de développement des Jeunes professionnels Canada-Asie de la Fondation. 

Avant de rejoindre la FAP Canada, Erin a contribué au Comité des membres canadiens du Conseil de coopération pour la sécurité dans l’Asie-Pacifique (CSCAP), un dialogue régional sur la sécurité dans le cadre du deuxième front. À ce titre, elle a participé à deux groupes d’étude coprésidés par le Canada : l’un sur le maintien et la consolidation de la paix au niveau régional, l’autre sur la responsabilité de protéger. Elle a également été corédactrice (avec Brian Job) de la publication phare annuelle du CSCAP, The CSCAP Regional Security Outlook. Erin a travaillé comme adjointe à la rédaction de Pacific Affairs et dans le domaine de l’éducation des immigrants et des réfugiés dans le Minnesota et en Californie.

Erin est titulaire d’une maîtrise en études politiques Asie-Pacifique de la University of British Columbia et d’une maîtrise en relations internationales de la Boston University.

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