Aperçu des élections à Taïwan en 2024

Taiwan and China as flag chess pieces

Les élections présidentielles et législatives de Taïwan, dont les enjeux sont considérables, se dérouleront le 13 janvier. Trois partis et trois hommes s’affrontent lors d’un scrutin présidentiel à un tour où le vainqueur remporte la totalité des suffrages. Lai Ching-te, du Parti démocrate progressiste (DPP, ou « camp vert »), est l’actuel vice-président et le favori de l’élection. Son principal adversaire est Hou Yu-ih, de l’ancien parti au pouvoir, le Kuomintang (KMT, ou « camp bleu »). Le troisième homme est l’ancien maire de Taipei, Ko Wen-je, du Parti populaire de Taïwan (PPT ou « camp blanc »). 

Le DPP obtiendra-t-il un nouveau mandat de quatre ans après huit ans de pouvoir ? Ou le KMT parviendra-t-il à revenir au pouvoir ? Ko pourrait-il sortir du lot et remporter une victoire surprise ? Quel que soit le résultat, il est d’ores et déjà évident que l’élection mettra en évidence la force et la stabilité des institutions démocratiques de Taïwan à un moment où la démocratie est menacée dans de nombreuses juridictions clés.

Supporters of the ruling Democratic Progressive Party (DPP
Des partisans du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir assistent à un meeting de campagne à Kaohsiung le 7 janvier 2024, une semaine avant l'élection présidentielle. | Photo : Yasuyoshi Chiba/AFP via Getty Images.

Malgré le discours extérieur sensationnel sur les risques d’ingérence massive ou de conflit, l’ambiance sur le terrain est à la résilience, et la campagne électorale est remarquablement normale. La géopolitique suscite quelques inquiétudes, mais les questions socio-économiques intérieures, l’identité des partis et la confiance qu’ils inspirent pourraient finir par déterminer le résultat. Les choix clés en matière de politique étrangère, de relations entre les deux rives du détroit et même de relations économiques extérieures sont structurellement limités par la dynamique entre les États-Unis et la Chine, et les trois partis ont pour la plupart convergé dans leurs positions sur ces questions.

Les derniers sondages d’opinion autorisés ont été enregistrés le 3 janvier, Taïwan n’autorisant pas d’autres sondages (ou la divulgation de sondages) au cours des dix derniers jours de la campagne. Les chiffres obtenus par les trois candidats sont remarquablement stables depuis le début de la campagne. Lai (DPP) est en tête avec un taux de soutien médian de 36 %. Il défend la continuité des politiques menées par la présidente Tsai, notamment un renforcement de la défense, des relations solides avec les alliés démocratiques tels que les États-Unis, le Canada et le Japon, ainsi qu’un soutien à la réduction de l’exposition économique à la Chine. Le DPP est ouvert aux pourparlers avec la Chine continentale, mais la tâche s’est avérée difficile jusqu’à présent en raison d’un manque de confiance de part et d’autre. Le DPP s’oppose également à l’énergie nucléaire et encourage les technologies vertes et la dépendance au GNL.  Il dispose d’un noyau solide dans le sud de Taïwan et trouve un écho auprès de la jeune génération sur les questions de l’identité et de l’autonomie taïwanaises.

Sondages d’opinion à Taïwan

Hou (KMT) bénéficie d’un taux de soutien médian de 31 %, ce qui le place à cinq points de Lai. Il se présente en promettant une croissance économique accrue, un gouvernement propre et une gestion professionnelle des situations diplomatiques complexes avec les États-Unis et la Chine. Le KMT affirme que sa main ferme peut protéger le statu quo et prévenir une possible guerre.

Quant à Ko (TPP), il est crédité d’un score médian de 24 % dans les sondages. Ancien médecin qui s’engage à résoudre sérieusement les problèmes (son surnom est « KP », ou « Keep Promise » [en français, « Tenir ses promesses »], ou encore « Ko Professor »), il parle franchement et promet de s’attaquer aux principaux problèmes sociaux, énergétiques et économiques. Sur le plan international, il promet d’emprunter une voie médiane entre le DPP (trop conflictuel avec la Chine, selon Ko) et le KMT (trop proche de la Chine). Il trouve un écho auprès des jeunes dans des villes comme Taipei, mais ne dispose pas d’une liste complète de ministres potentiels. Il ne dispose pas non plus d’un noyau dur, alors que le DPP peut compter sur une base solide de 35 % et le KMT sur 25 à 30 % des électeurs. 

Les derniers jours de la campagne à Taïwan pourraient être volatils. Quinze pour cent des électeurs sont encore indécis, et les électeurs traditionnels du TPP pourraient soit s’en tenir à Ko, soit hésiter à voter, soit recourir à un vote stratégique en choisissant le DPP (leur ancienne maison) ou le KMT (pour des raisons économiques ou par lassitude du pouvoir en place). Une autre variable est ce que l’homme d’affaires milliardaire Terry Gou (ancien PDG de Foxconn présenté comme un possible quatrième candidat au début de la course) décidera de dire dans les derniers jours du vote, car ses propos pourraient influencer certains électeurs. 

Supporters of Ko Wen-je Taiwan presidential candidate from the Taiwan People's Party (TPP)
Les partisans de Ko Wen-je (C), candidat à la présidence de Taïwan du Parti du peuple taïwanais (TPP), agitent des drapeaux lors d'un rassemblement de campagne à Kaohsiung, le 7 janvier 2024. | Photo : Sam Yeh/AFP via Getty Images.

Dans la course législative, aucun parti n’est susceptible d’obtenir la majorité, mais le KMT a toutes les chances de remporter le plus grand nombre de sièges (50-55, tout près du seuil de la majorité de 57). Le DPP s’attend à obtenir environ 40-48 sièges (contre 61 avant les élections). Le TPP pourrait être en position de faiseur de rois au sein du Yuan législatif de Taïwan, avec environ 10 à 12 sièges possibles.

Il est frappant de constater que le DPP est nettement moins bien placé dans les sondages que lors de ses précédentes victoires en 2020 (57 % pour Tsai) et en 2016 (56 %). Cette situation reflète la lassitude du pouvoir en place dans l’ère post-COVID, les inquiétudes économiques et la frustration face à l’augmentation des inégalités économiques. En effet, une pluralité d’électeurs semble prête à changer de parti au pouvoir (59 % souhaitent un changement contre 34 % qui estiment que le DPP devrait rester au pouvoir, selon la Fondation de l’opinion publique taïwanaise [Taiwan Public Opinion Foundation] à la fin du mois de décembre). Dans un autre sondage réalisé en janvier, seuls 35 % des électeurs ont indiqué qu’ils étaient satisfaits du maintien au pouvoir du DPP, tandis que 45 % ont répondu qu’ils n’en étaient pas satisfaits. Et ce, malgré une gestion remarquable du COVID en 2020-2021 et une politique économique internationale solide de la part du DPP.

Les questions centrales pour les électeurs taïwanais

Les sondages et les conversations sur le terrain indiquent que les électeurs taïwanais s’inquiètent surtout des perspectives économiques et des revenus, de l’augmentation des loyers et de l’immobilier (qui pèse sur les moyens de subsistance des jeunes), de l’insécurité énergétique et de l’inégalité économique. La croissance économique a été décente mais instable, avec un taux de croissance probable de 1,4 % en 2023, après une forte croissance supérieure à 4 % en 2021-2022 (6,45 % en 2021, mais seulement 2,43 % en 2022) dans la période postpandémique. Ce ralentissement de l’économie est préoccupant à bien des égards, mais surtout en ce qui concerne les revenus (en relation avec l’augmentation des loyers).

Les inégalités économiques augmentent depuis les années 1980, mais se sont accélérées depuis 2020 et la pandémie de COVID. De plus en plus, Taïwan est devenue une économie duale, où les travailleurs de l’industrie technologique s’en sortent très bien, tandis que tous les autres stagnent. L’électronique et l’informatique dominent les exportations taïwanaises, avec une part de 44 %.

Les pressions exercées par la Chine en faveur de la réunification et les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine préoccupent également les électeurs. Dans un sondage Tianxia Zashi réalisé en août 2023, 46 % des électeurs ont indiqué qu’ils étaient préoccupés par une éventuelle guerre dans les cinq années à venir. Mais les électeurs semblent considérer cette question comme un problème de fond, et non comme un facteur de vote décisif. La plupart des électeurs ne réagissent pas aux incursions militaires continues de la Chine continentale, étant donné la nature continue de ces événements au cours des décennies. La question de Hong Kong était très importante lors des élections de 2020, mais elle est à peine visible lors des élections de 2024.

Hou Yu-ih, Taiwan presidential candidate from the main opposition Kuomintang (KMT)
Hou Yu-ih, candidat à la présidence de Taïwan du principal parti d'opposition, le Kuomintang (KMT), fait un geste lors d'un meeting de campagne à Kaohsiung, le 7 janvier 2024. | Photo : Sam Yeh/AFP via Getty Images.

Les programmes des trois partis ont largement convergé vers des positions similaires concernant les relations entre les deux rives du détroit et la défense. Le parti sortant, le DPP, promet de rechercher un dialogue accru avec la Chine continentale, tandis que le KMT promet une position de défense accrue pour accompagner son propre plan de dialogue. Le TPP, quant à lui, promet d’être le parti médian entre le DPP et le KMT. Les trois partis soutiennent l’augmentation du budget militaire de 2,4 % à 3 %, comme le recommandent les États-Unis. Ils soutiennent également l’extension du service militaire obligatoire pour les jeunes hommes de quatre mois à un an (déjà voté et entrant en vigueur en janvier 2024). 

Toutefois, cela n’implique pas que la Chine réagira de la même manière à l’égard des trois partis après le 13 janvier. En général, en raison des déclarations passées de Lai en faveur de l’indépendance (non répétées en 2023, Lai ayant trouvé une corde sensible plus pragmatique) et de l’état d’esprit de la Chine, on peut s’attendre à ce que Pékin réagisse avec des bâtons pour Lai, des carottes pour Hou et des tests pour Kou, en fonction du vainqueur de l’élection.

La semaine à venir

Une fois de plus, on peut s’attendre à une dernière semaine de campagne très intense et volatile. Les élections taïwanaises se décident souvent au cours des derniers jours, en fonction des événements et des nouvelles informations. C’est à ce moment-là que le monde doit surveiller si la Chine interfère par le biais des médias sociaux ou des plateformes Internet, comme le craint le DPP. Le gouvernement taïwanais a fait part de ses inquiétudes concernant TikTok et la manière dont les actions du parti communiste chinois pourraient influencer les électeurs. Il est souvent difficile de faire la différence entre l’ingérence et les attaques entre partis, surtout à l’ère des fausses nouvelles et de la désinformation générée par l’intelligence artificielle.

Néanmoins, en observant la campagne électorale jusqu’à présent, il est remarquable de constater la résilience des institutions démocratiques taïwanaises et le degré de confiance dans le système électoral. À l’heure actuelle, cela ne peut être considéré comme acquis. Les électeurs taïwanais ont tendance à rester calmes et à continuer à défendre leur identité, leurs priorités politiques et leur pragmatisme. Cette attitude contraste avec le discours plus menaçant tenu à l’extérieur de Taïwan.

 

NB : Cet article reprend certaines données et certains éléments de Tsai, Chung-min et Yves Tiberghien, « Taiwan’s democratic institutions the clear winner in this month’s elections », East Asia Forum, à paraître le 7/1/2023.

Yves Tiberghien

Yves Tiberghien est professeur de sciences politiques, directeur émérite de l'Institut de recherche asiatique et codirecteur du Centre de recherche japonaise à l'University of British Columbia à Vancouver, Canada. Il était professeur invité à l'École des sciences économiques et politiques de Taipei et est membre émérite de la Fondation Asie-Pacifique du Canada, président de Vision20 et chercheur principal du Global Summitry Project, Munk School, University of Toronto.

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Chung-min Tsai

Chung-min Tsai est professeur de sciences politiques à l'Université nationale Chengchi et à l'École d'économie et de sciences politiques de Taipei (Université nationale Tsinghua).

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