Le Vietnam est l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde, avec un taux de croissance du PIB de 6,1 % en moyenne entre 2013 et 2012, ce qui le place bien au-dessus de la moyenne de l’Asie-Pacifique, qui est de 4,4 %. À l’instar de ses voisins d’Asie du Sud-Est, le Vietnam est parvenu à cette croissance impressionnante grâce à une approche du type « développer d’abord, dépolluer ensuite », qui donne la priorité au développement par l’utilisation de combustibles fossiles. La moitié de l’électricité du pays provenant de combustibles fossiles, le Vietnam a eu du mal à se passer du charbon et du gaz, d’autant plus qu’il est confronté au double défi de l’augmentation de la demande d’énergie et de l’aggravation des effets du changement climatique.
Le récent essor des énergies renouvelables au Vietnam reflète toutefois une évolution positive dans les efforts déployés par le pays pour réduire sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles. À partir de 2019, la capacité solaire et éolienne du Vietnam a augmenté rapidement, générant environ 15 % de l’électricité du pays en 2022, une amélioration remarquable étant donné que le pays a toujours été à la traîne par rapport à la capacité de ses voisins thaïlandais et philippins.
Les ambitions du Vietnam en matière de climat ne s’étendent pas encore aux contrôles des émissions industrielles et à la gestion de la pollution, malgré les graves effets négatifs des niveaux élevés de pollution sur la santé humaine et l’environnement. L’opinion publique s’interroge de plus en plus sur la capacité du gouvernement à faire face à l’escalade de l’insécurité énergétique et à maintenir une croissance économique solide. Dans ce contexte, le secteur de l’énergie est devenu un secteur clé pour relever ce double défi. Outre le fait que les énergies renouvelables renforcent la sécurité énergétique, l’industrie énergétique vietnamienne est en train de devenir une destination très recherchée pour les investissements étrangers. En tant que membre du programme de financement international Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), le Parti communiste vietnamien (PCV) au pouvoir a fait part de son engagement à donner la priorité aux énergies renouvelables tout en réduisant progressivement la dépendance du pays à l’égard des combustibles fossiles.
Plans d’élimination progressive du charbon et d’augmentation des énergies renouvelables
À la fin de l’année 2022, le Vietnam, tout comme l’Indonésie, est devenu bénéficiaire d’un Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP d’après son sigle en anglais). Le JETP vise à accélérer la transition du Vietnam vers l’abandon des combustibles fossiles en mettant à l’arrêt les centrales au charbon et en améliorant l’infrastructure énergétique pour soutenir l’utilisation des sources d’énergie renouvelables. Dans le cadre du JETP, le Vietnam recevra 21 G$ CA sur une période de trois à cinq ans, le financement étant principalement assuré par l’International Partner Group (IPG) (en français, Groupe international de partenaires). L’IPG est un partenariat composé du Canada, du Danemark, de l’UE, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon, de la Norvège, du Royaume-Uni et des États-Unis, ainsi que de divers investissements du secteur privé provenant de banques de développement multilatérales et nationales.
À la mi-2023, le Vietnam a créé son propre secrétariat JETP pour travailler en étroite collaboration avec l’IPG afin de conseiller et d’administrer les engagements pris en vertu de la déclaration de partenariat. Le secrétariat du JETP a également rédigé le plan de mobilisation des ressources du Vietnam, qui décrit les changements apportés au cadre réglementaire national de l’énergie, les objectifs de réforme du secteur de l’énergie et un cadre de suivi des difficultés rencontrées et des progrès réalisés au titre du JEPT.
Pour atteindre les objectifs du JETP, le Parti communiste vietnamien (PCV) a commencé à modifier les cadres énergétiques nationaux du Vietnam afin d’accroître la part des énergies renouvelables. En mai 2023, le PCV a publié le Plan de développement de l’énergie 8 (PDP8), un plan à long terme pour la production et la distribution d’énergie au niveau national. Selon ce plan, le Vietnam a l’intention d’augmenter sa part d’électricité provenant des énergies renouvelables — à l’exclusion de l’hydroélectricité — à plus de 30 % d’ici à 2030. Le Vietnam s’est également engagé à porter ce chiffre à 47 % avec le soutien du JETP.
En août 2023, le PCV a aussi approuvé le Plan directeur national de l’énergie (PDNE), une feuille de route globale pour le secteur énergétique vietnamien afin d’atteindre le niveau zéro net d’ici 2050, avec des plans pour générer suffisamment d’énergie pour soutenir la croissance économique à long terme. L’État a également mis l’accent sur le déploiement rapide des énergies renouvelables avec des plans pour augmenter la part des énergies renouvelables dans l’approvisionnement en électricité du pays à 85 % d’ici à 2050. Toutefois, le PDNE prévoit que l’extraction locale et l’importation de charbon se poursuivront au cours de la prochaine décennie, avant d’atteindre un pic en 2035 et d’être progressivement supprimées d’ici à 2050. Parallèlement au financement international pour le climat via le JETP et aux politiques de l’État visant à stimuler les énergies renouvelables dans le mix énergétique du pays, le PCV a mis en œuvre une série d’incitations économiques pour accélérer les investissements locaux dans les énergies renouvelables. Par exemple, de généreux tarifs de rachat introduits en 2017 — des politiques offrant aux producteurs d’énergie des tarifs supérieurs à ceux du marché pour la vente de leur énergie — ont permis aux entreprises solaires privées de vendre leur électricité à l’entreprise publique Vietnam Electricity et à ses filiales à un prix beaucoup plus élevé que celui des centrales au charbon ou hydroélectriques. Ce programme a attiré des investisseurs locaux dans la production d’énergie solaire et a conduit à une montée en puissance des énergies renouvelables au Vietnam, l’électricité solaire doublant chaque année depuis 2019 et fournissant près de 10 % de l’approvisionnement total en électricité du pays en 2022.
Mais malgré une période initiale de succès, nombre de ces projets incitatifs auraient été interrompus ou contraints de fermer. Par exemple, la pression exercée sur le réseau de transmission vietnamien par l’augmentation soudaine des énergies renouvelables résultant du programme des tarifs de rachat de 2017, et le manque de nouvelles centrales au charbon ou hydroélectriques pour stabiliser la charge de base énergétique du pays, ont fait que de nombreux ménages et entreprises ont dû se battre pour obtenir suffisamment d’électricité. Pour aggraver ces difficultés, certains investisseurs n’ont pas respecté les directives des autorités locales qui leur auraient permis de bénéficier des tarifs de rachat garantis, tandis que d’autres projets ont été jugés contraires aux exigences en matière de certification et d’autorisation.
La pollution persiste
Dans d’autres domaines liés à la durabilité, le PCV n’a pas pris de mesures plus ambitieuses, notamment en ce qui concerne la réduction des niveaux de pollution des entreprises. La qualité de l’air n’a cessé de se dégrader, Hanoï et Hô Chi Minh-Ville étant classées parmi les 15 villes les plus polluées d’Asie du Sud-Est. Malgré l’enregistrement d’environ 60 000 décès liés à la pollution de l’air en 2018, la gestion rigoureuse de la pollution industrielle reste insuffisante.
En 2020, le PCV a révisé la Loi sur la protection de l’environnement afin de mettre en place un cadre antipollution plus solide et plus complet à l’échelle nationale. Cet amendement prévoit la mise en place d’un système pilote de crédits carbone d’ici 2025, permettant à l’État d’allouer des crédits carbone et de certifier des quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Les nouvelles lignes directrices sur la pollution atmosphérique stipulent également que les entreprises jouent un rôle plus important dans la surveillance et l’amélioration de la qualité de l’air, en leur demandant de détailler et de déclarer leurs émissions dans les bases de données de leur entreprise. Cependant, les entreprises ne communiquent souvent pas toutes ces informations, ce qui nuit aux efforts de réduction de la pollution de l’air.
Plus inquiétant encore, l’absence de contrôle environnemental par une tierce partie implique qu’une grande partie de l’inspection de la pollution est laissée au ministère vietnamien de l’Environnement ou aux entreprises elles-mêmes. Étant donné les allégations constantes contre le PCV de collusion avec les entreprises pour dissimuler la pollution industrielle ou minimiser l’étendue des dommages causés à l’environnement et aux communautés environnantes, l’absence de mécanismes indépendants de contrôle et de rapport a alimenté la méfiance à l’égard du gouvernement et le mécontentement de la population.
Priorité au secteur de l’énergie pour maintenir la croissance économique
La priorité accordée par le Vietnam à l’industrie de l’énergie au détriment des impératifs environnementaux peut s’expliquer par les pressions qu’il subit pour maintenir une croissance économique élevée dans un contexte d’insécurité énergétique croissante. En 2023, des sécheresses intenses dans le nord du Vietnam ont forcé 11 centrales hydroélectriques à fermer, coupant ainsi l’électricité pour des milliers de résidents et déclenchant une série de pannes non planifiées et non annoncées. Ces interruptions soudaines de l’approvisionnement en énergie ont contraint de nombreux grands fabricants, dont Foxconn et Samsung Electronics, à interrompre leurs activités, réduisant ainsi leur productivité. En outre, avec une classe moyenne en pleine expansion, qui devrait représenter plus de la moitié de la population vietnamienne d’ici 2035, la sécurité énergétique est devenue une préoccupation majeure tant pour le public que pour l’État.
Dans le même temps, la grande vulnérabilité du Vietnam au changement climatique perturbe également ses performances économiques. Selon l’indice mondial des risques climatiques, le Vietnam s’est classé au sixième rang des pays les plus touchés par les phénomènes météorologiques extrêmes entre 1998 et 2018. En 2020, par exemple, le centre du Vietnam a connu des précipitations inhabituellement longues qui ont entraîné des inondations et des glissements de terrain, suivis de neuf typhons majeurs. Les inondations, considérées comme l’une des pires catastrophes ayant frappé la région au cours des 100 dernières années, ont coûté à la région environ 1,7 G$ CA de dommages et ont tué près de 200 personnes. Face à la difficulté de concilier prospérité économique et sécurité énergétique dans un contexte d’aggravation du changement climatique, le PCV pourrait promouvoir les énergies renouvelables parce qu’elles permettent de répondre à la fois aux préoccupations économiques et énergétiques. En 2022, le pays a reçu 14,4 G$ CA d’investissements étrangers dans son secteur des énergies renouvelables, ce qui exclut le financement à venir du JETP. Par ailleurs, l’industrie énergétique vietnamienne pourrait bénéficier d’un investissement de 11 G$ CA mené par 15 entreprises américaines, dont des fabricants de puces électroniques.
Coopération Canada-Vietnam
Le Canada, quant à lui, continue d’aider le Vietnam à accélérer le développement des énergies renouvelables. Outre le JETP, le Canada finance divers projets d'énergies renouvelables, tels que le Projet d’énergie solaire flottante situé dans les réserves de la centrale hydroélectrique de Da Mi. Le Canada est aussi l’un des principaux consommateurs d’énergies renouvelables du Vietnam, avec plus de 123 M$ CA d’importations de panneaux solaires en 2020. Fin 2023, le gouvernement canadien a annoncé des missions commerciales au Vietnam et en Malaisie dans le cadre de sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique et de ses efforts pour approfondir la collaboration régionale en matière de commerce et de durabilité.
Le Canada a également soutenu certains projets vietnamiens de gestion de la pollution. Entre 2018 et 2021, Ottawa a lancé le Projet de gestion des déchets solides au Vietnam. Par l’intermédiaire de la Fédération canadienne des municipalités et en collaboration avec l’Association des villes du Vietnam, un fonds de 1 M$ CA a été fourni pour aider deux villes vietnamiennes de taille moyenne à élaborer des stratégies technologiques visant à atténuer les polluants climatiques à courte durée de vie dans l’industrie des déchets solides. En 2019, le ministère vietnamien de l’Environnement et l’ambassade du Canada au Vietnam ont organisé un atelier conjoint sur la pollution des océans par les plastiques ; cet atelier s’inscrit dans le cadre de l’investissement canadien de 100 M$ CA visant à aider les pays en développement à réduire la pollution des océans.
À l’avenir, les dirigeants vietnamiens devront faire face à toute une série de problèmes, tant économiques qu’environnementaux, qui exigent une transition rapide vers l’abandon des combustibles fossiles ainsi qu’une décarbonisation accélérée des industries vietnamiennes en plein essor. Le PCV étant toujours fortement axé sur la promotion du secteur de l’énergie propre du Vietnam tout en maintenant sa progression économique historique, les partenariats Canada-Vietnam dans le domaine des énergies renouvelables devraient s’approfondir, ouvrant éventuellement la voie à une collaboration accrue en matière de sécurisation des composants des technologies propres, tels que les minéraux essentiels. Reste à savoir si cette coopération s’étendra à d’autres engagements en matière de développement durable.