Démission du président du Vietnam : conséquences pour la politique intérieure et les relations extérieures du pays

Vietnam President Vo Van Thuong

Le 20 mars, le Comité central du Parti communiste du Vietnam (PCV) a annoncé la soudaine démission du président Vo Van Thuong, un peu plus d’un an après son entrée en fonction. Le départ de Thuong constitue la deuxième démission d’un président en moins de deux ans; son prédécesseur, Nguyen Xuan Phuc, a été obligé de démissionner en janvier 2023.

Le Parti communiste du Vietnam est demeuré silencieux quant aux circonstances entourant le départ de Thuong, déclarant seulement qu’il s’était opposé aux principes du parti et avait entaché la réputation de ce dernier. Plusieurs observateurs croient que Thuong, comme son prédécesseur, a été impliqué dans un scandale de corruption, possiblement lié à son rôle de secrétaire provincial de Quang Ngai dans le centre du Vietnam, de 2011 à 2013. Thuong a récemment été accusé d’avoir fermé les yeux alors qu’une société immobilière locale versait des pots-de-vin à des fonctionnaires provinciaux. 

Vietnam President Vo Van Thuong
Le 2 mars 2023, le nouveau président vietnamien Vo Van Thuong prête serment lors d’une réunion extraordinaire de l’Assemblée nationale à Hanoï. Les membres de l’Assemblée nationale ont élu Thuong pour un mandat devant s’étendre jusqu’en 2026, à la suite de la démission dramatique de Nguyen Xuan Phuc dans le cadre d’une campagne anticorruption. | Photo : Hoang Thong Nhat/Vietnam News Agency/FAP sur Getty Images

En tant que chef de l’État, le président doit notamment établir des relations diplomatiques, promouvoir le renvoi de hauts fonctionnaires en cas d’accusations de corruption, présider le Conseil de défense et de sécurité nationale en cas d’état d’urgence ou de guerre et jouer d’autres rôles essentiellement cérémoniels. La destitution de Thuong n’aura probablement pas d’incidence considérable sur les activités courantes du pays, mais signale un certain degré d’instabilité politique et ébranle certains investisseurs étrangers.

La vice-présidente Vo Thi Anh Xuan, qui a temporairement assumé le rôle de présidente lors de l’éviction de l’ancien président Phuc en 2023, a été nommée présidente par intérimet un remplaçant permanent devrait bientôt être nommé. Deux candidats probables sont le ministre de la Sécurité publique To Lam et le membre permanent du secrétariat du Parti communiste du Vietnam Truong Thi Mai. Tous deux ont manifesté leur intérêt à briguer le poste de secrétaire général du parti communiste du Vietnam en 2026, et exercer la présidence serait utile pour renforcer leurs bases de soutien respectives.

Que révèle l’éviction de Thuong à propos de la campagne anticorruption du Vietnam?  

Thuong semble être la dernière cible en vue de la campagne anticorruption « Blazing Furnace », menée depuis 2016 par le secrétaire général du parti communiste du Vietnam Nguyen Phu Trong, dans le but d’assurer sa propre légitimité ainsi que le soutien du public. La campagne a pris au piège environ 200 000 membres du parti, dont plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement. Outre les deux anciens présidents, deux vice-premiers ministres ont été démis de leurs fonctions le 4 janvier parce qu’ils se seraient livrés à des actes de corruption pendant la pandémie de COVID-19.

Certains observateurs ont suggéré que la démission de Thuong pourrait être l’œuvre du ministre de la Sécurité publique susmentionné, To Lam, qui chercherait à éliminer un adversaire à l’approche du congrès national du parti communiste du Vietnam en 2026. Le secrétaire général Trong, âgé de 79 ans et apparemment en mauvaise santé, est resté silencieux sur ses projets de succession, semant ainsi l’incertitude politique quant à la future direction du PCV. La destitution de Thuong est interprétée par certains comme un signe de querelles persistantes au sein de la direction du parti communiste du Vietnam, Trong étant considéré comme politiquement affaibli, car Thuong était son proche allié et protégé.

President Vo Van Thuong at APEC2023
À une époque plus heureuse, le président vietnamien Vo Van Thuong prend la parole dans le cadre de la Leaders’ Week de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à San Francisco, en Californie, le 15 novembre 2023. | Photo : Andrew Caballero-Reynolds/AFT sur Getty Images

La campagne anticorruption, qui s’est intensifiée au cours des dernières années, est menée dans un contexte de mécontentement public accru face au manque de responsabilité et de transparence des dirigeants vietnamiens. La récente augmentation des manifestations liées à l’environnement illustre ce mécontentement latent, reflétant la frustration du public face à l’incapacité du parti communiste du Vietnam à réglementer les pratiques commerciales néfastes et à intervenir efficacement lors de catastrophes écologiques. L’évincement de fonctionnaires corrompus pourrait constituer une tentative du parti communiste du Vietnam de restaurer la confiance du public envers les dirigeants du pays.

L’incertitude politique accrue aura-t-elle une incidence sur l’émergence du Vietnam en tant que centre manufacturier mondial?

Le Vietnam attire de plus en plus d’investissements en raison de son climat politique généralement stable attribuable à son État à parti unique et de son gouvernement qui s’engage activement élaborer des réglementations qui facilitent les investissements étrangers. Le pays est devenu un pôle manufacturier majeur pour divers conglomérats internationaux, notamment Apple et Samsung Electronics. Son statut devrait s’étendre à mesure que les investisseurs étatiques et non étatiques cherchent à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et à réduire leur dépendance à l’égard de la Chine.

Cependant, la démission d’un autre haut fonctionnaire suscite des inquiétudes parmi les investisseurs étrangers. Quelques jours avant l’annonce officielle – probablement au moment où circulait une rumeur de bouleversement politique à venir – environ 1,74 milliard d’actions à la Bourse de Hô Chi Minh-Ville ont été abandonnées, ce qui témoigne de l’incertitude générale des actionnaires face à la baisse soudaine de la valeur des actions.

Quelles sont les conséquences de la démission de M. Thuong pour les parties prenantes canadiennes ? 

La stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique indique que le Vietnam est un pays de grande importance. Il s’agit du plus grand partenaire commercial du Canada en Asie du Sud-Est; en 2022, les échanges bilatéraux entre le Canada et le Vietnam se sont élevés à 13,8 milliards de dollars canadiens, soit une augmentation par rapport aux 8,9 milliards de dollars canadiens enregistrés deux ans plus tôt. La plupart des marchandises échangées concernent l’agriculture et l’agroalimentaire, les technologies de communication et les énergies renouvelables.

En février 2024, Exportation et développement Canada (EDC) a annoncé son intention d’ouvrir un bureau d’innovation à Hô Chi Minh-Ville d’ici la fin de 2024, ce qui représenterait un investissement de 2,7 milliards de dollars canadiens. De plus, une mission commerciale d’Équipe Canada au Vietnam s’est déroulée comme prévu du 24 au 29 mars. Le commerce et les investissements bilatéraux entre le Canada et le Vietnam devraient également s’intensifier grâce à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP).   

Malgré la deuxième éviction d’un président vietnamien en un an, certains analystes internationaux restent convaincus que, dans l’ensemble, le système politique vietnamien demeure stable et que les investisseurs ne doivent pas s’attendre à des écarts majeurs en matière de politique ou de gouvernance. Cependant, d’autres observateurs suggèrent que les investisseurs déstabilisés par ces changements soudains pourraient suspendre temporairement leurs investissements en attendant la suite. 

Les relations extérieures du Vietnam maintiendront-elles le cap?

Il est peu probable que la démission du président Vo Van Thuong donne lieu à des modifications importantes des politiques étrangères. Les observateurs des politiques étrangères estiment que la « diplomatie du bambou » du Vietnam – politique qui consiste à plier pour maintenir l’équilibre des relations étroites avec des alliés importants, y compris les États-Unis et la Chine – ne changera pas. Les relations avec les autres membres de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est ne devraient pas non plus être touchées.

Hema Nadarajah

Hema Nadarajah, Ph.D., est gestionnaire de programme, Asie du Sud-Est, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'un doctorat en relations internationales de la University of British Columbia, où elle a effectué des recherches sur la gouvernance dans l'Arctique, le changement climatique et l'espace extra-atmosphérique. Mme Nadarajah est conseillère auprès du WWF et a travaillé auparavant pour le gouvernement de Singapour sur des questions de conservation de la biodiversité internationale et de changement climatique.

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Alberto Iskandar

Alberto Iskandar est chercheur-boursier à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Il a obtenu son diplôme de grade de premier cycle à l’Université Simon Fraser, avec une spécialisation en sciences politiques et une mineure en études internationales, et a été diplômé en 2021. Ses recherches portent sur le multilatéralisme en Asie du Sud-Est et dans l’ANASE, le développement durable et les questions liées à la sécurité et à la défense en Asie du Sud-Est. Il a précédemment travaillé en tant que chercheur fonctionnaire à la Communauté de politique étrangère d’Indonésie (Foreign Policy Community of Indonesia).

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Sasha Lee est chercheuse post-universitaire au sein de l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’University of British Columbia et un baccalauréat à la Korea University, avec une double spécialisation en sciences politiques et en communication avec les médias. Ses travaux portent notamment sur les technologies renouvelables et la gouvernance environnementale des pays en développement.

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