Avec « Rendez-vous avec Pol Pot », le réalisateur Rithy Panh marque une nouvelle étape dans son travail de commémoration du génocide cambodgien de 1975-1979. Encore enfant lorsque le régime des Khmers rouges a pris le pouvoir, Rithy Panh a consacré une partie de sa carrière à la mémoire de ce génocide qui a coûté la vie à un quart de la population cambodgienne. Représentant le Cambodge aux Oscars et sélectionné au Festival de Cannes, Rendez-vous avec Pol Pot a été présenté en avant-première nord-américaine au Festival CINEMANIA de Montréal.
Le film, qui s'inspire des mémoires de 1986 de la journaliste Elizabeth Becker, When the War Was Over, raconte l'histoire de trois journalistes, Lise Delbo, Paul Thomas et le marxiste Alain Cariou, proche du régime des Khmers rouges, qui ont été invités au Cambodge en 1978 pour interviewer Pol Pot et documenter l'impact de la révolution communiste. Ils se sont vite rendu compte que la propagande à laquelle ils avaient été exposés ne ressemblait en rien à ce que vivait le peuple cambodgien. L’histoire suit le parcours des trois journalistes qui, étroitement surveillés par des gardes armés pendant leur visite, tentent d’échapper au contrôle exercé par le régime dictatorial. En cherchant la vérité, ils ont montré que l'illusion d'une utopie avait en fait gravement dérapé.
L’art au coeur de la mémoire
Panh utilise diverses techniques cinématographiques pour commémorer le génocide cambodgien. Situant le film à mi-chemin entre la fiction et la réalité, il jongle entre la visite guidée des journalistes, alimentée par la propagande de Pol Pot, et les archives en noir et blanc de la situation réelle du Kampuchea démocratique. Lorsque Paul Thomas parvient à échapper à son escorte armée, Panh juxtapose ce que le photojournaliste a découvert à des images d'archives montrant le travail forcé, la torture et la famine dans les camps.
Des figurines d'argile sont également utilisées pour montrer ce qui n'a pas été documenté sur le génocide de Pol Pot. Cela souligne le contraste entre la situation du peuple cambodgien et la propagande d'une vision communiste utopique. Alors que deux des journalistes, Delbo et Thomas, tentent de découvrir ce qui se cache derrière la propagande officielle, Cariou - un ami proche du régime qui partage ses idéaux communistes - tente de minimiser les incidents qui ont entouré leur visite.
Désinformation et intégrité journalistique : un message qui résonne fortement aujourd'hui
Au-delà du travail de mémoire, ce film témoigne de l'importance du journalisme. Après s'être évadé de prison et avoir révélé les secrets du régime des Khmers rouges, Paul Thomas disparaît mystérieusement pour ne plus jamais être revu. Ce film rappelle le rôle des médias comme contrepoids aux récits fabriqués par les dirigeants autoritaires et les risques inhérents au travail journalistique.
À une ère une l’information n’a jamais été autant accessible, la désinformation continue d’être de plus en plus prévalente. En 2023, 43% des Canadiens pensaient qu’il était plus difficile de faire la distinction entre les vraies et les fausses nouvelles par rapport aux trois années précédentes. Ici au Canada, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a récemment déclaré devant la Commission sur l'ingérence étrangère que le Canada n'était pas suffisamment équipé pour contrer les grandes campagnes de désinformation. Alors que le rapport Perturbations à l’horizon 2024 du gouvernement fédéral recense la désinformation comme la plus grande à laquelle le monde fait face, le message du film est toujours d’actualité. Bien que les techniques de désinformation aient changé, les risques qu’ils entrainent sont tout aussi présents.
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Le Festival du film français CINEMANIA de Montréal est un organisme à but non lucratif considéré comme le plus grand événement consacré au cinéma francophone en Amérique du Nord. Depuis 1995, il a présenté près de 100 films issus de grands festivals internationaux, contribuant au rayonnement culturel du Québec et de la francophonie.