À retenir
La fragile trêve qui maintient le gouvernement thaïlandais se fissure. En mai, la Cour constitutionnelle du pays a accepté une requête d’un groupe de sénateurs intérimaires visant à démettre le premier ministre Srettha Thavisin de ses fonctions, et son allié, l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, a été accusé d’avoir violé les lois de lèse-majesté (« insulte royale ») du pays. Bien que la cote de popularité de Srettha auprès de la population thaïlandaise soit extrêmement basse, la menace de sa destitution à l’issue d’une élection tumultueuse en 2023 exacerbe les craintes d’un regain d’instabilité politique et d’une reprise économique déjà fragile en Thaïlande après la crise du COVID-19.
En Bref
- Le 23 mai, 40 sénateurs de la chambre haute nommée par l’armée ont affirmé que la nomination de Pichit Chuenban par Srettha à un poste ministériel violait la constitution du pays, qui interdit la nomination de ministres qui ne respectent pas les normes morales et éthiques. En 2008, Pichit a été condamné à six mois de prison pour avoir tenté de corrompre un juge qui présidait une affaire de corruption contre Thaksin.
- Thaksin a été destitué par un coup d’État militaire en 2006, a fui le pays en 2008, puis est revenu en Thaïlande en août 2023. À son retour, il a été condamné à une peine de huit ans d’emprisonnement, commuée par la suite en une peine d’un an. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle en février 2024, apparemment pour des raisons de santé.
- Nombreux sont ceux qui pensent que Thaksin, bien qu’il se soit « retiré » de la vie politique, reste le chef de facto du parti Pheu Thai au pouvoir. Le 29 mai, il a été accusé d’avoir insulté la monarchie du pays lors d’une entrevue en 2015.
- La Thaïlande est le deuxième partenaire commercial du Canada en Asie du Sud-Est. En 2022, le commerce bilatéral de marchandises a atteint 6,4 G$ CA et l’investissement direct canadien en Thaïlande s’est élevé à 319 M$ CA.
Implications
Les procédures judiciaires engagées contre Srettha et Thaksin sont considérées par les observateurs comme des tentatives de l’establishment conservateur de « discipliner » les dirigeants du Pheu Thai. Cet establishment est étroitement lié à la puissante armée du pays et entretient depuis longtemps des relations hostiles avec le Pheu Thai. Toutefois, en septembre 2023, les deux camps ont uni leurs forces au sein d’une coalition gouvernementale afin de stopper l’élan du parti réformiste Move Forward Party (MFP). Le MFP a remporté le plus grand nombre de sièges lors des élections de 2023 (151 contre 141 pour le Pheu Thai), mais son dirigeant, Pita Limjaroenrat, n’a pas pu devenir premier ministre, notamment en raison du vote négatif des 250 sénateurs thaïlandais non élus et alignés sur l’armée.
L’« alliance impie » entre le Pheu Thai et les conservateurs a permis à Thaksin de rentrer d’exil, mais seulement s’il acceptait de se retirer de la vie politique. Thaksin n’a pas l’air de vouloir respecter cet accord : il a fait une apparition officielle au siège du Pheu Thai, s’est rendu dans son ancienne circonscription de Chiang Mai et s’est entretenu avec le gouvernement en exil du Myanmar et des organisations armées ethniques près de la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar. Il a également rencontré le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim et aurait discuté de la situation au Myanmar, ce qui, si cela s’avérait exact, constituerait une violation des conditions de la libération conditionnelle de Thaksin.
L’importance politique de l’armée thaïlandaise est considérable. Si la Cour constitutionnelle condamne Srettha, on ignore qui pourrait le remplacer. Un sondage d’opinion a récemment montré que, sur une liste de candidats potentiels au poste de premier ministre, Srettha arrivait loin derrière Pita du MFP (voir Figure 1). En 2020-21, les partisans du prédécesseur du MFP ont organisé des manifestations de masse dans tout le pays après que le gouvernement aligné sur l’armée a imposé la dissolution du parti sur la base de ce que beaucoup considéraient comme des accusations fallacieuses. Depuis longtemps, les militaires utilisent les troubles politiques comme prétexte pour intervenir dans la politique du pays : depuis 1932, la Thaïlande a connu 13 coups d’État militaires.
L’éventuelle destitution de Srettha fait planer l’incertitude sur une économie en difficulté. Les derniers remaniements ministériels et les poursuites judiciaires engagées contre les dirigeants du Pheu Thai inquiètent certains investisseurs, car les turbulences politiques pourraient avoir un impact sur leurs investissements et leurs activités commerciales dans l’ensemble du pays. Srettha a préconisé des mesures populistes pour stimuler la consommation intérieure et soutenir les petites entreprises, mais la viabilité de ces politiques reste discutable compte tenu des contraintes budgétaires du pays.
Prochaines étapes :
1. Frustration de la population face aux prochaines élections sénatoriales
La démission soudaine du ministre des Affaires étrangères Parnpree Bahiddha-nukara en avril (liée au remaniement ministériel) a mis un terme à l’approche proactive de la Thaïlande face à la crise du Myanmar. Le successeur de Parnpree, Maris Sangiampongsa (ancien ambassadeur au Canada), a déclaré que la politique ne changerait pas, mais il est un associé de Thaksin et sa nomination en tant que ministre des Affaires étrangères renforce les efforts de Thaksin pour se poser en médiateur dans la crise. Les liens de Maris avec Thaksin pourraient nuire à la crédibilité de Bangkok auprès d’importants groupes de parties prenantes.
2. Politique incertaine à l’égard du Myanmar
The sudden resignation of foreign minister Parnpree Bahiddha-nukara in April (related to the cabinet shakeup) has halted Thailand's proactive approach to the Myanmar crisis. Parnpree’s successor, Maris Sangiampongsa (a former ambassador to Canada), has said the policy will not change, but he is an associate of Thaksin, and his appointment as foreign minister bolsters Thaksin’s efforts to insert himself as a mediator in the crisis. Maris’s connection to Thaksin could undermine Bangkok’s credibility with important stakeholder groups.
3. Des priorités concurrentes placent Ottawa dans une position difficile
Dans sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique de 2022, le Canada s’est engagé à soutenir la démocratie, l’État de droit et les droits de la personne dans la région, notamment en Asie du Sud-Est. Cependant, même s’il existe des signes évidents de recul démocratique en Thaïlande, il est peu probable qu’Ottawa critique ses affaires intérieures, surtout après avoir annoncé en novembre 2023 que des négociations étaient en cours pour l’accord de libre-échange (ALE) entre le Canada et la Thaïlande.
Mais le fait de s’abstenir de toute critique tout en poursuivant des objectifs économiques pourrait compromettre les efforts déployés par le Canada pour adopter une position de principe sur ces questions ailleurs dans la région indo-pacifique. Enfin, il se peut que la conclusion par Bangkok d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne — en voie d’achèvement en 2025 — contribue à remettre le pays sur la voie de la démocratie et du respect des droits de la personne.
• Édité par : Erin Williams, gestionnaire principale de programme, Compétences sur l'Asie et Ted Fraser, rédacteur principal. Conception graphique : Chloe Fenemore, graphiste principale.