Positionner l’agriculture canadienne pour répondre aux besoins croissants de l’Asie en matière de sécurité alimentaire

farmer in Southeast Asia examines his corn crop

En 2022, 1,03 milliard de personnes dans la région Asie-Pacifique étaient confrontées à des niveaux sévères ou modérés d’insécurité alimentaire. Sur ce nombre, 76 % se trouvaient en Asie du Sud et 13 % en Asie du Sud-Est (voir Figure 1). L’insécurité alimentaire — définie par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture comme le manque d’accès régulier à une nourriture saine et nutritive en quantité suffisante pour permettre une croissance normale et une vie saine — dans ces deux sous-régions sera exacerbée dans les années à venir par la croissance démographique, l’augmentation des classes moyennes et le changement climatique. Leur dépendance à l’égard des importations de produits agricoles est donc susceptible d’augmenter considérablement.  

Dans le cadre de sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique, le Canada s’est engagé à consacrer 31,8 millions $ CA au cours des cinq prochaines années à l’expansion du commerce des produits agricoles et agroalimentaires dans la région, afin de contribuer à atténuer les problèmes de sécurité alimentaire. En signe de cet engagement, Ottawa a annoncé le 7 juin que Manille, aux Philippines, accueillerait le premier Bureau d’Agriculture et Agroalimentaire dans l’Indo-Pacifique (BAAIP) du Canada. Si l’BAAIP représente un « pas en avant » importante dans l’engagement régional,  il est possible de prendre d'autres mesures pour renforcer le poids commercial de l’agriculture canadienne dans la région. Il s’agit notamment de se concentrer sur les sous-régions (c’est-à-dire l’Asie du Sud et du Sud-Est) où la demande sera la plus forte et de planifier les opportunités à court, moyen et long terme pour les entreprises et les responsables politiques canadiens.

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L’Asie à la recherche d’un fournisseur agricole fiable face à une demande alimentaire croissante

L’augmentation rapide de la population à revenu moyen dans les économies émergentes d’Asie fait grimper la demande alimentaire, qui croît généralement au cours des premières phases du développement économique du pays. La part de l’Asie-Pacifique dans la classe moyenne mondiale devrait passer de 54 % en 2020 à 65 % en 2030. À mesure que les revenus augmentent et que les tendances à l’urbanisation se poursuivent, les classes moyennes de ces économies émergentes, notamment en Inde, en Indonésie et au Vietnam, parviennent à améliorer leur régime alimentaire pour y inclure davantage de nutriments, dont des protéines, des graisses et des vitamines que l’on trouve dans les fruits et les légumes. De plus, ces changements dans la demande surviennent au moment où le changement climatique risque de réduire la production alimentaire de la région du fait de la destruction des terres arables. 

Étant donné que les pays de l’Asie-Pacifique sont à la recherche de fournisseurs fiables de produits agricoles, les secteurs agricole et agroalimentaire canadiens axés sur l’exportation sont bien placés pour combler les écarts entre l’offre et la demande et atténuer l’insécurité alimentaire croissante dans certains des marchés de consommation de la région qui connaissent la croissance la plus rapide.  

Le potentiel d’exportation de l’agriculture canadienne dans la région Asie-Pacifique 

En 2022, l’Asie-Pacifique était la deuxième destination des exportations agricoles et agroalimentaires canadiennes, avec des exportations atteignant 21,8 milliards $ CA. Au cours des cinq dernières années, ces exportations ont augmenté de 7 % en moyenne par an, ce qui indique une croissance modérée. La Chine est le premier partenaire agro-commercial du Canada dans la région Asie-Pacifique, avec des exportations atteignant 9,5 milliards $ CA en 2022. Le Japon et la Corée du Sud, deux des économies les plus avancées de la région, étaient les deuxième et troisième partenaires, le Japon représentant 5,4 milliards $ CA et la Corée du Sud, 1,3 milliard $ CA d’exportations agricoles (Figure 2)[1].

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Les outils permettant de cartographier le potentiel commercial montrent que les exportations agricoles canadiennes ont historiquement été moins performantes sur les principaux marchés de l’Asie-Pacifique, en particulier en Asie du Sud-Est et du Sud, les deux sous-régions où l’insécurité alimentaire est particulièrement aiguë.  L’outil du potentiel d’exportation [2] développé par le Centre du commerce international (CCI), une organisation multilatérale spécialisée dans le commerce, révèle que les engrais, les légumineuses et les produits alimentaires conservés ou transformés du Canada ont le plus grand potentiel d’exportation dans la région Asie-Pacifique, parmi d’autres produits (Figure 3). Identifier clairement les besoins agricoles de la région et les confronter aux produits disponibles au Canada est une étape importante pour mieux comprendre le potentiel non satisfait et stimuler le commerce agricole avec la région. 

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Facteurs entravant le commerce

Malgré l’immense potentiel, il existe plusieurs obstacles à l’augmentation des exportations agricoles du Canada vers l’Asie-Pacifique. Ces obstacles sont notamment le manque d’études de marché, les difficultés à trouver les bons acheteurs et l’augmentation des barrières commerciales non tarifaires (BNT). Les réglementations des pays importateurs de produits agricoles, sous la forme de BNT, ont constitué un défi particulier limitant les exportations agricoles du Canada vers la région. Par exemple, l’Indonésie, un grand pays à majorité musulmane, exige une certification halal pour la viande et d’autres produits alimentaires, une certification que de nombreux produits canadiens n’ont pas. Certains pays imposent également des restrictions fondées sur les pratiques sanitaires locales. L’Inde, par exemple, exige que les expéditions de légumineuses soient fumigées au bromure de méthyle au point d’origine pour lutter contre les nématodes des tiges et des bulbes (c’est-à-dire les vers ronds). En outre, les pays en développement peuvent imposer des mesures restrictives sur les produits agricoles étrangers afin de protéger leurs industries agricoles nationales.  

L’outil du CCI indique que, si l’on considère les 10 principales exportations agricoles et agroalimentaires du Canada, les exportations agricoles réelles sur les marchés d’Asie de l’Est correspondent étroitement à notre potentiel. Les relations commerciales de longue date du Canada avec les marchés d’Asie de l’Est, notamment la Chine, le Japon et la Corée du Sud, et la présence de bureaux fédéraux et provinciaux de promotion du commerce dans la sous-région sont souvent citées comme les principaux moteurs de la bonne performance des exportations agricoles canadiennes. En revanche, le Canada a encore un long chemin à parcourir pour atteindre son potentiel sur les marchés de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie du Sud (voir Figure 4).

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Réduire les obstacles, créer des partenariats

Pour exploiter pleinement le potentiel des exportations agricoles du Canada, en particulier en Asie du Sud et du Sud-Est, Ottawa devrait collaborer avec ses homologues gouvernementaux dans ces régions afin de réduire les obstacles au commerce et de mettre en place un réseau commercial favorable et inclusif. Dans les paragraphes suivants, nous examinons quelques stratégies possibles pour le Canada.

À court terme, l’analyse des lacunes du potentiel commercial régional réalisée par le CCI montre que l’Indonésie pourrait bénéficier des exportations canadiennes de soja, tandis que la demande croissante du Vietnam en protéines peut être satisfaite par les exportations canadiennes de fruits de mer et de viande de porc. L’Inde et le Bangladesh, deux économies d’Asie du Sud dont la population augmente et dont les terres arables diminuent, peuvent bénéficier des engrais potassiques canadiens.

À moyen terme, le Canada devrait se concentrer sur le renforcement de ses capacités en matière de connaissances et de ressources, avec le soutien d’universitaires, d’associations d’exportateurs et de groupes de réflexion. Le partage des connaissances et des informations sur les marchés agricoles locaux et les exigences commerciales peut aider les entreprises canadiennes à se développer sur de nouveaux marchés. Par exemple, les producteurs canadiens de viande bovine et de produits alimentaires transformés souhaitant exporter vers des pays ayant des exigences halal pourraient bénéficier d’une aide pour savoir comment obtenir les certifications requises.

À long terme, Ottawa devrait continuer à négocier des accords de libre-échange (ALE) mutuellement bénéfiques et à réduire les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce. Le Canada négocie actuellement des accords commerciaux avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), l’Inde et l’Indonésie, et les exportateurs canadiens de produits agricoles et agroalimentaires bénéficieront des conseils et de la prévisibilité fournis par ces futurs accords commerciaux. Par exemple, les exigences de l’Inde en matière de fumigation des légumineuses ont limité les exportations de légumineuses canadiennes vers l’Inde depuis 2004, bien que les exportateurs canadiens de légumineuses aient réussi à négocier des exemptions temporaires. Un accord de partenariat économique global entre le Canada et l’Inde pourrait prévoir la suppression permanente de la clause relative à la fumigation, ce qui offrirait davantage de certitude aux exportateurs canadiens. 

Le nouveau bureau agricole du Canada aux Philippines ainsi que l’établissement et l’expansion des réseaux régionaux représentent la deuxième composante d’une stratégie solide à long terme, car ils contribueront à prévenir les asymétries d’information, comme dans le cas de la discorde entre le Canada et l’Inde au sujet des légumineuses. Grâce à l’échange d’informations, les fonctionnaires canadiens peuvent éviter (ou résoudre plus rapidement) les BNT. Le bureau de l’agriculture à Manille pourra répondre aux questions des partenaires régionaux sur les mesures sanitaires et phytosanitaires afin de garantir aux consommateurs que les produits canadiens sont sûrs, et expliquer d’autres exigences techniques, ce qui permettra de résoudre plus rapidement les BNT. Cette mesure aurait été utile dans le cas des légumineuses indiennes. En effet, le parasite identifié par les responsables politiques indiens pour la fumigation n’existe pas au Canada, et le produit chimique de fumigation requis par l’Inde pour traiter le parasite est illégal au Canada.

Les bons résultats du Canada en Asie de l’Est, principalement en Chine, sont liés à la présence accrue du gouvernement et des entreprises canadiennes dans la région par rapport au reste de l’Asie-Pacifique. Compte tenu de l’engagement du Canada, tel qu’énoncé dans la SIP, à diversifier ses échanges commerciaux au-delà de la Chine et à s’associer à des partenaires essentiels tels que l’ANASE et l’Inde, le moment est venu pour le Canada d’étendre sa présence sur d’autres marchés clés dans l’ensemble de la région.

Conclusion

L’Asie-Pacifique, qui abrite certains des marchés de consommation à la croissance la plus rapide au monde, est confrontée à une demande sans précédent de produits agricoles et alimentaires. Si les exportations agricoles et agroalimentaires canadiennes ont toujours été peu performantes dans cette région, l’établissement du BAAIP à Manille ouvre une fenêtre d’opportunité unique pour les agro-exportateurs canadiens. En ciblant les pays tributaires des exportations et en renforçant les capacités à court et à moyen terme, en plus de négocier des accords commerciaux et de tirer parti du BAAIP pour créer un nouvel accès au marché et supprimer les barrières commerciales, le Canada pourra réorganiser ses exportations agricoles et agroalimentaires vers l’Asie-Pacifique. Ottawa devrait donner la priorité à la facilitation du commerce agricole avec la région afin de maintenir l’élan et de faire du Canada un fournisseur privilégié dans la région.

 

 


Références : 

1. Agriculture et Agroalimentaire Canada inclut les codes SCIAN suivants dans l'agriculture et l'agroalimentaire : 111 Production végétale, 112 Production animale et aquaculture, 114 Pêche, chasse et piégeage, 311 Fabrication d'aliments et 3253 Fabrication de pesticides, d'engrais et d'autres produits chimiques agricoles. Ces codes ont été utilisés pour générer la figure.

2. L'outil d'évaluation du potentiel d'exportation du CCI utilise le modèle de gravité du commerce et prend en compte trois éléments : les capacités d'offre du pays exportateur, les conditions de la demande sur le marché cible et les relations bilatérales entre les deux partenaires commerciaux. Le CCI prend la moyenne de la période 2017-2021, en donnant plus de poids aux données les plus récentes. En tenant compte de variables prospectives telles que la croissance projetée du PIB et de la population et les réductions tarifaires programmées, le CCI estime une valeur d'exportation potentielle de référence qu'un pays peut atteindre pour un produit et un marché d'exportation donnés en l'an 2027. Comme la carte du potentiel d'exportation ne tient pas compte des développements à venir, y compris les nouveaux accords commerciaux ou les événements perturbateurs, l'outil ne sert que de point de départ dans le processus de prise de décision et devrait être complété par des recherches supplémentaires et des consultations avec les parties prenantes.

Pia Silvia Rozario

Pia Silvia Rozario est spécialiste de projet, Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat, Bureau central au Canada, à la FAP Canada. Elle est récemment diplômée d'une maîtrise en politiques publiques de l'University of Calgary.

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