Le dessous de la scène : L'industrie cinématographique sud-coréenne à succès révèle des problèmes sociaux plus profonds

Photo of young men with a movie camera by Lê Minh

En avril, on a appris que Netflix allait « mettre les bouchées doubles » en matière de contenu sud-coréen, en investissant près de 3,7 milliards $ CA au cours des quatre prochaines années pour produire des séries télévisées, des films et des émissions de téléréalité en Corée. Cet investissement arrive à point nommé : dans la Stratégie pour l’Indo-Pacifique du Canada, publiée en novembre 2022, la Corée du Sud est considérée comme un partenaire important pour l'engagement du Canada dans la région et « étroitement liée par des liens commerciaux et culturels de longue date ». Lors de la visite du Premier ministre Justin Trudeau à Séoul au début du mois, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a déclaré que la relation bilatérale était une relation entre « bons amis » et a souligné le besoin de renforcer les liens entre le Canada et la Corée du Sud.

Le renforcement de ces liens permettrait aux Canadiens de mieux connaître la culture et la société sud-coréennes, notamment par le biais du cinéma. Selon un Sondage d'opinion national réalisé en 2021 par la Fondation Asie Pacifique du Canada, 45 % des Canadiens de la génération Z (âgés de 26 ans ou moins) tirent la plupart de leurs informations sur l'Asie de la culture populaire, plus que de toute autre source d'information (voir le tableau 1). Certaines formes de culture populaire, comme la musique et les jeux vidéo, sont principalement axées sur le divertissement. Mais les films, en particulier, peuvent être une riche source d'informations sur des questions de société. C'est certainement le cas en Corée du Sud, où les films au plus grand succès mettent en lumière des questions sociales importantes et constituent un baromètre utile de l'humeur nationale.

Sondage

Le cinéma sud-coréen, tel que le public international le connaît aujourd'hui, a vu le jour à la fin des années 1980 et au début des années 1990, à la suite d'une diminution progressive de la censure politique dans le pays. Depuis lors, la Corée du Sud a produit certains des films les plus intéressants et les plus populaires au monde. Un exemple récent est Parasite, qui a remporté le prix du meilleur film lors de la 92e cérémonie des Oscars en 2020 et a suscité une conversation sur les politiques de classe et les graves inégalités de richesse en Corée du Sud. Mais Parasite n'a pas été le premier film à sensibiliser les spectateurs internationaux à ces questions.  Les cinq films présentés ci-dessous constituent une bonne introduction à un aspect de la société sud-coréenne que les Canadiens (et les autres Occidentaux) ne voient pas toujours.

15 ans volés (Oldboy)

Lors de sa sortie en 2003, 15 ans volés a connu un succès immédiat et a remporté le Grand Prix du Festival de Cannes en 2004. Il a ensuite connu un succès commercial considérable, s'est attiré les louanges de la critique internationale et nationale et a consolidé le statut de la Corée du Sud en tant que puissance de l'industrie cinématographique. 15 ans volés est à la fois un film à suspense de vengeance et un mystère qui raconte l'histoire d'un homme emprisonné pendant 15 ans avant d'être soudainement libéré. Se déroulant dans les rues de Séoul, le film retrace la quête brutale de l'homme pour se venger des personnes qui l'ont emprisonné puis libéré sans explication, et culmine dans une série de révélations stupéfiantes.

Entre les moments d'extrême violence et les découvertes choquantes se mêle une histoire plus vaste, celle de la pauvreté, de l'inégalité et de la crise financière asiatique de 1997. Pendant son incarcération, l'homme s'informe sur le monde extérieur grâce à une télévision qui retransmet toute une série de nouvelles, notamment l'arrestation de l'ancien président Chun Doo-hwan pour corruption, la catastrophe de l'effondrement du pont Seongsu en 1994 et de nombreux reportages sur la crise économique asiatique, qui a été causée par une série de dévaluations de la monnaie et a conduit à une situation d'urgence financière. Le Fonds monétaire international a renfloué la Corée du Sud, mais il lui a aussi imposé des exigences strictes en matière de dépenses, ce qui a entraîné des difficultés économiques et creusé les écarts de richesse dans le pays.

The Host

En 2006, The Host est devenu le plus grand succès du box-office sud-coréen et est resté le film le plus vu dans le pays jusqu'à ce qu'il soit devancé par Avatar en 2010. The Host est un film de monstres qui débute avec un militaire américain ordonnant à son assistant coréen de déverser des produits chimiques dans la rivière Han, qui traverse la capitale Séoul. Cet acte déclenche une série d'événements qui conduisent à l'émergence d'une créature monstrueuse qui terrorise une communauté riveraine.

The Host s'inspire de l'histoire récente et d'un sentiment national de frustration après l'incident de McFarland en 2000, lorsqu'un soldat américain stationné en Corée du Sud a ordonné à des employés coréens sous sa responsabilité de déverser du formaldéhyde liquide dans les réseaux d'égouts qui ont fini par se déverser dans la rivière Han. Lorsque la nouvelle de l'incident a été rendue publique, elle a suscité une réaction brutale et a révélé une frustration généralisée à l'égard des actions des forces américaines stationnées dans le pays.

Dernier train pour Busan

Dernier train pour Busan a été présenté pour la première fois au Festival de Cannes en mai 2016 avant d'être lancé sur le marché intérieur en juillet 2016. Le film a dominé la billetterie et pulvérisé les records de vente de billets.

La prémisse centrale du film est familière : une épidémie massive de zombies submerge un gouvernement, forçant les survivants à fuir vers des « zones sécurisées » désignées. L'histoire suit un homme d'affaires surmené qui emmène sa fille en train à Busan, une ville du sud-est du pays, pour voir sa mère. Ils sont rejoints par un groupe de passagers qui sont terrorisés par un zombie à bord du train. Le reste du film suit le groupe qui lutte contre le zombie tout en gérant les conflits interpersonnels.

Bien qu'il ne soit pas aussi explicite que The Host, Dernier train pour Busan est un commentaire social qui comporte un élément monstrueux. Le film est sorti deux ans après le naufrage du ferry MV Sewol, qui a entraîné la mort de plus de 300 passagers — dont la plupart étaient des lycéens — après que les équipages eurent chargé sur le bateau un poids deux fois supérieur à la limite légale. Les enquêtes qui ont suivi ont mis au jour la corruption à tous les niveaux.

Dans Dernier train pour Busan, le zombie joue le rôle d'antagoniste plutôt que de méchant ; les méchants, dans ce cas, sont les autres passagers. Tout au long de l'épidémie, alors que les survivants se déplacent dans le train, leur progression est entravée par des hommes d'affaires qui se protègent aux dépens des autres. Cependant, à la fin du film, lorsque les personnages reconnaissent le coût humain de leurs actions, ils changent de comportement pour éviter d'autres morts. C'est ce type de changement de comportement – de l'instinct de conservation à l'action bénéfique pour l'ensemble de la communauté – que le public appelait de ses vœux au moment de la tragédie du MV Sewol.

Les bonnes étoiles

Les bonnes étoiles est sorti sur les écrans internationaux en janvier 2023. Le film raconte l'histoire de deux bénévoles d'une église qui vendent à des familles aisées des bébés laissés dans des « boîtes à bébés » gérées par l'église. Un soir, un bébé est laissé dans l'une de ces boîtes avec un mot de sa mère disant qu'elle reviendra le chercher. Cependant, les deux bénévoles, qui ont déjà vu de telles notes, supposent que la mère ne reviendra pas et se préparent à vendre le bébé à une famille (plutôt que de le placer dans un orphelinat). Dans une tournure d’événements, la mère revient, mais elle est finalement persuadée d'aider les deux bénévoles à trouver une autre famille pour élever son fils.

Le moment choisi pour ce film est important. La Corée du Sud a organisé des élections présidentielles en 2022. Le candidat conservateur Yoon Suk Yeol a battu le candidat libéral Lee Jae Myung avec une marge de moins d'un pour cent. L'une des principales promesses de campagne de Yoon était d'abolir le ministère de l'Égalité des sexes et de la Famille. Ce ministère a joué un rôle clé dans l'introduction des questions de genre et de famille au centre des discussions politiques et a supervisé un large éventail de programmes, y compris le soutien aux parents célibataires et la garde d'enfants.  Bien que M. Yoon n'ait pas encore démantelé le ministère, son engagement à le faire fait suite à plusieurs années de politiques sexistes controversées en Corée du Sud, qui ont eu des résultats problématiques pour les mères et qui reflètent un discours de plus en plus négatif, à savoir des affirmations (fausses) selon lesquelles le sexisme appartient au passé et que le féminisme est la cause de la baisse du taux de natalité dans le pays.

Les bonnes étoiles reflète — tout en le remettant en question — ce discours et les conséquences pour les mères célibataires. Dans le film, les bénévoles et la police estiment que les mères célibataires sont irresponsables et présentent la famille traditionnelle comme l'environnement idéal pour un enfant. Cependant, au fur et à mesure que le film avance, cette idée est subtilement remise en question, notamment à travers les expériences et les choix de la mère célibataire. Bien que le film ne porte pas de jugement de valeur sur le type de famille qui est « le meilleur », il présente un argument convaincant, contrebalançant ainsi le discours largement négatif en Corée du Sud sur les questions de genre.

Ces cinq films, ainsi que leurs thèmes et récits principaux, vont à l'encontre des images de pouvoir de persuasion mises en avant dans le cadre de la diplomatie culturelle officielle de la Corée du Sud. Si la diplomatie culturelle et l'image nationale d'un pays sont importantes, elles peuvent aussi occulter des questions sociales sous la surface polie, ce qui donne au public international une image incomplète d'un pays.

Ces films sud-coréens contribuent à combler le fossé entre l'image et la réalité, en présentant des thèmes et des sujets difficiles sous la forme de films très attrayants, avec une narration de grande qualité et une réalisation innovante. Alors que le Canada tisse des liens culturels plus étroits avec la Corée du Sud dans le cadre de sa stratégie d'engagement plus large dans le Pacifique Nord, le public canadien dispose d'une occasion unique et croissante – grâce à Netflix et à d'autres acteurs qui investissent massivement dans le contenu coréen – de découvrir des films qui donnent un aperçu d'un pays dont l'importance ne fera que croître dans les années à venir.

The views expressed here are those of the author, and do not necessarily represent the views of the Asia Pacific Foundation of Canada.

Kelly Grounds

Kelly est diplômée de la Simon Fraser University avec mention d'honneur en Sciences politiques et une mineure en Études internationales. Elle travaille maintenant pour Innovation, Sciences et Développement économique Canada en tant qu'analyste subalterne des politiques. Kelly est également assistante à la recherche pour le Projet de désinformation de la Simon Fraser University et a été boursière du programme Canada-Asie d'accompagnement de jeunes professionnels  2022-23 de la FAP Canada.

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